La Paix
Quatorzième dimanche du temps
ordinaire; 3 juillet 1977; Lectures : IsaĂŻe 66,10-14a; Galates 6,14; Luc
10,1-12.
Tout au long de l’année liturgique,
l’Église poursuit un but : approfondir de plus en plus dans l’âme du
peuple cette révélation divine qui est la lumière qui clarifie toutes les
confusions et qui nous enseigne le bon chemin à suivre pour connaître mieux le
projet divin que Dieu a pour nous. Bienheureux, les hommes et les femmes qui
captent cette lumière et en font le moteur de leur vie. Tel est le message
d’aujourd’hui sur un problème qui répond à l’angoisse de notre temps : la
Paix.
Le Christ apporte la paix
Allez de par le monde et annoncez
ceci, qui est le résumé de ma Rédemption : Paix à cette demeure. Et s’il
s’y trouve des gens de bonne volonté, là demeurera cette paix. Mais s’il y a de
l’orgueil, de l’arrogance, s’il s’y trouve du refus de Dieu, cette paix ne
demeurera pas lĂ , elle reviendra sur vous; et dans un geste de celui qui a
souffert du rejet, secouez vos sandales face Ă ceux-ci, comme pour leur
dire : vous n’êtes pas dignes de ce message de Dieu. Et la paix vous suivra
et il y aura des gens qui l’accueilleront. Il y aura également toujours des
gens qui la rejetteront. (Lc 10,1-12)
Je suis un crucifié pour le monde. Le
monde ne me comprend pas. Moi non plus, je ne désire pas participer à ce monde,
je suis un crucifié pour le monde et le monde est un crucifié pour moi. Et
j’emmène ce trésor de la paix dans mon cœur, le partageant avec tous ceux qui
désirent le recevoir. (Ga 6,14)
« Je suis un crucifié pour le
Christ. Loin de moi, l’idée de me glorifier en autre chose qui ne soit pas la
Croix du Christ. » Et je vous le répète avec une joie immense, que pour
moi, c’est le moment glorieux de l’Église de San Salvador. Bienheureux, ceux
qui le comprennent et le vivent. Ne cherchez pas votre gloire dans les apparats
glorieux de ce monde. Ne cherchez pas le pouvoir et la force dans les
puissances de l’argent ou des choses de la Terre. Toutes ces choses sont
crucifiées à mes yeux; elles ne valent rien. Je suis pour elles également un
crucifié. Bienheureux, celui qui sait se détacher des apparences de ce monde
pour devenir un véritable instrument de la paix.
« Bienheureux, également, les
artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu. » C’est la grande
angoisse de notre temps, et ici, au Salvador, nous le ressentons : il n’y
a pas de Paix. Nous avons eu du plaisir Ă entendre ces mots dans la bouche du
nouveau président, criant paix pour le peuple, paix pour les familles, paix
pour le cœur de chacun. Nous nous réjouissons que ce nouveau gouvernement ait
ce désir de paix, mais cela nous préoccupe de savoir s’il veut suivre le
véritable chemin pour rencontrer la paix. Et c’est ici que l’Église est
disposée au dialogue avec tous les hommes, principalement avec ceux qui
possèdent en leurs mains le pouvoir politique et le pouvoir économique, pour
leur dire ce qu’est la paix et la grande capacité qu’ils possèdent s’ils
désirent suivre la voie de l’Évangile. 03/07/77, p.115-116, I-II.
Ce qu’est la paix
Il y a un chapitre dans Vatican II
qui traite de la paix et il y a un des documents de la réflexion des évêques
avec le Pape Ă MedellĂn qui traite Ă©galement de cette question. De ces
documents qui illuminent le magistère actuel de l’Église, je voudrais citer le
commentaire, le plus autorisé pour les lectures bibliques d’aujourd’hui, qui, précisément,
veut être un message de paix véritable.
Ces deux documents affirment que la
paix n’est pas uniquement l’absence de guerre. C’est une notion très négative.
Nous ne pouvons pas dire qu’il y a la paix lorsqu’il n’y a pas de guerre.
Actuellement, il n’y a pas de guerre dans plusieurs pays; dans presque tout le
monde, il n’y a pas de guerre actuellement, et cependant, nulle part il
n’existe une paix authentique. Il ne suffit pas qu’il n’y ait pas de guerre.
L’équilibre de deux forces adverses, ce n’est pas la paix. L’Union Soviétique
et les États-Unis se menacent mutuellement, ce n’est pas exactement la paix qui
existe actuellement entre les deux superpuissances. Ce qu’il y a, c’est la
peur, la peur de savoir qui est le plus puissant. Cela n’est pas la paix.
Deux garçons, deux hommes qui se
menacent de se battre, il n’y a pas encore de bagarre, mais ce n’est pas non
plus la paix. Il y a la peur entre les deux puissances. Et le Pape a dit :
« Personne ne peut parler de paix avec un fusil à la main; cela c’est la
peur. »
Ce n’est pas non plus la paix,
affirme le Concile, lorsque dans l’hégémonie despotique, on cherche à soumettre
un peuple, un être humain. C’est la paix de la mort, la paix de la répression.
Ce n’est pas la paix non plus. Qu’est-ce donc que la paix? La paix, dit le
Concile, c’est la définition d’Isaïe le prophète, dont Pie XII fit la devise de
son précieux emblème : Opus
justiciae pax, « la paix est le fruit de la justice ». Oui, c’est
cela, la paix. Il y aura la paix seulement lorsqu’il y aura la justice,
lorsqu’il n’y a pas de justice, il n’y a pas de paix. La Paix c’est le produit
de l’ordre voulu par Dieu, mais les êtres humains doivent la conquérir comme un
grand bien au sein de la société : lorsqu’il n’y a pas de répression, lorsqu’il
n’y a pas de ségrégation, lorsque tous les hommes peuvent jouir de leurs droits
légitimes, lorsque la liberté existe, lorsqu’il n’y a pas de crainte, lorsqu’il
n’y a pas de peuples étouffés par les armes, lorsqu’il n’existe pas de cachots
où gémissent sans liberté tant d’enfants de Dieu, où il n’y a pas de tortures,
où il n’y a pas de violations des droits de l’homme. 03/07/77, p.116, I-II.
Paix et Justice
C’est pourquoi la patrie s’emplit
d’espérance lorsque le gouvernement dit qu’il ne peut y avoir de paix s’il n’y
a pas de justice. Mais, il est nécessaire d’ajouter des actes à ces paroles. Il
est nĂ©cessaire que disparaissent tant de situations injustes. MedellĂn dĂ©crivit
cette situation de l’Amérique latine et en arriva à dire ces paroles qui en scandalisèrent
plusieurs :
« En Amérique latine, il existe
une situation d’injustice. Il existe une violence institutionnalisée. » Ce
ne sont pas lĂ des paroles marxistes, ce sont des paroles catholiques, ce sont
des paroles de l’Évangile. Parce que là où existe une puissance qui opprime les
faibles et qui ne les laisse pas vivre justement selon leurs droits, leur
dignitĂ© humaine, lĂ existe une situation d’injustice. Et MedellĂn dit cette
phrase lapidaire : « Si le développement est le nouveau nom de la
paix, les peuples qui vivent en situation de sous-développement sont une
provocation continuelle de violence. » Et si la violence existe, cela
provient d’une affliction, d’une angoisse. S’il existe véritablement un désir
de paix et si nous reconnaissons que la justice est la racine de la paix, tous
ceux qui peuvent changer cette situation de violence sont obligés de le faire.
Nous espérons que ce péché d’omission
que nous dénoncions au commencement de la messe touche la conscience de
plusieurs qui peuvent faire beaucoup et ne le font pas, peut-être parce qu’ils
sont conquis par leur situation confortable, par leur salaire, pour ne pas
tomber en disgrâce politique, pour ne pas perdre la faveur des puissants. Ils
seraient des traîtres à la loi de Dieu, ils seraient des pécheurs par omission,
si, par peur de perdre leur vie sur Terre, ils ne faisaient pas ce qu’ils
doivent faire pour donner à leurs paysans, à leur peuple, à la société, au bien
commun, une respiration de paix sur une justice plus Ă©quitable. La violence,
affirment le Concile et MedellĂn avec le Pape, n’est ni chrĂ©tienne, ni
évangélique. »
« Il est nécessaire que la
pacification, les enfants de la paix, les fils et les filles de Dieu
travaillent pour un monde meilleur en s’inspirant non pas de la violence, mais
d’une paix qui soit féconde, d’une paix qui exige l’accomplissement du droit,
qui exige le respect de la dignité humaine, et qu’ils ne se conforment jamais
pour éviter les problèmes avec ceux qui violent les droits de
l’humanité. »[…]
Paix et Amour
« Pardonne-leur, Père, ils ne
savent pas ce qu’ils font. » Ils sont idolâtres de leur argent, de leur
pouvoir. S’ils te connaissaient, ils t’aimeraient. C’est pourquoi, davantage
que la haine et le ressentiment, cela m’attriste de voir ces pauvres idolâtres
qui ne connaissent pas la force de cet amour que tu m’as donné. Donne-leur,
Seigneur, Ă eux aussi. 03/07/77, p. 118, I-II.
La paix des hommes de bonne volonté
Ici, nous faisons la distinction avec
une autre paix, la paix que l’Église partage avec le monde, la paix que peuvent
avoir également les non chrétiens, la paix des hommes de bonne volonté que nous
chantons dans le Gloria de la messe : « Paix aux hommes de bonne
volonté. » Que signifie cette autre paix? La paix qui provient d’un amour
naturel; la paix de l’homme qui, même sans connaître Dieu, est capable de
découvrir cette force intime de se solidariser avec celui qui souffre,
d’apporter un peu de bien-être au désolé, de dénoncer les injustices devant les
richesses injustes. Cela c’est la paix de tous les hommes… Et ici, je fais un
appel, même à ceux qui ne croient pas en cette foi qui nous a réunis en cette
messe dominicale. Plusieurs qui Ă©coutent par la radio, sans ĂŞtre catholiques,
sans que leur importe la messe de chaque jour; ceux que la prière de leur
épouse ou de leur mère, de ceux qui ont rencontré la paix divine, les dérange.
À ceux qui n’ont pas encore rencontré cette paix, je voudrais vous dire :
très chers amis, même sans croire en ce Christ et en cette paix de l’âme, ne sentez-vous
pas cette capacitĂ© de pardonner? Ne sentez-vous pas la force de dire non Ă
cette rancœur que vous portez depuis longtemps dans votre cœur? Vous êtes
incrédules, sans le Christ. Ne sentez-vous pas qu’il n’est pas nécessaire de
croire au Christ, il suffit d’être un homme, pour se sentir solidaire du
pauvre, de celui qui ne possède rien, et pour ressentir l’injustice devant
autant d’inĂ©galitĂ©s prĂ©sentes dans notre sociĂ©tĂ©? Alors nous faisons appel Ă
vous tous. Vous aussi vous pouvez ĂŞtre des artisans de la paix. 03/07/77, I-II,
p. 119.
Artisan de la Paix
Cette pauvreté me fait sentir les
richesses du monde comme crucifiées pour moi et moi comme étant crucifié selon
les critères de ce monde, c’est cela, la véritable pauvreté. Bienheureux les
pauvres de cœurs, ceux dont le cœur sent le besoin de Dieu, ceux qui dans la
Croix et dans le sacrifice rencontrent l’allégresse de la vie, ceux qui ont
appris dans le Crucifié le véritable secret de la paix, qui consiste à aimer
Dieu jusqu’à l’excès de se laisser tuer pour lui, et aimer le prochain, jusqu’Ă
être crucifié pour ses prochains. Cela est l’amour des rédempteurs modernes,
celui du Christ, celui de toujours. Seulement ces bienheureux seront de
véritables artisans de paix, de ceux dont le Christ parle dans le sermon des
béatitudes : « Bienheureux, ceux qui vont semer la paix, parce qu’ils
seront appelés fils de Dieu. » 03/07/77, p.121, I-II.