L’Église de l’archidiocèse

 

Dix-septième dimanche du temps ordinaire; 24 juillet 1977; Lectures : Genèse 18,20-32; Colossiens 2,12-14; Luc 11,1-13.

 

Chacun a ses propres problèmes et bienheureux l’homme qui a des problèmes parce que celui qui dit qu’il n’en a pas est si pauvre qu’il ne se rend même pas compte qu’il vit. Tous ceux qui vivent ont des problèmes. L’Église est si humaine qu’elle ressent, comme les siens, les problèmes liés à la douleur à l’estomac de l’enfant à la maison, la dette qui ne peut être remboursée, l’emploi qu’on n’arrive pas à trouver. Tout cela nous touche pleinement, la sensation, l’angoisse de ceux qui souffrent injustement.

 

L’Église désire que notre pays surmonte la crise actuelle, elle veut que l’ordre et la justice soient rétablis, elle veut aussi s’unir à toutes les forces positives qui sont réellement intéressées à la construction d’un pays plus juste. L’Église désire être comprise, en ce sens, et que cessent toutes les diffamations et la persécution qui lui sont adressées. L’Église cherche elle aussi à gagner sa bataille, mais même si elle la perdait, nous croyons qu’elle a déjà gagné la bataille fondamentale. L’Histoire se souviendra qu’en ces moments de crise au Salvador, avec toutes ses limites et ses erreurs, l’Église humanisa ce pays avec la clarté de sa parole, avec l’honnêteté de ses actions, avec sa force dans l’épreuve et la souffrance et également par son option envers les plus démunis. 24/07/77, p.137-139, I-II.

 

 

Devoir de dénoncer le péché

 

À la lumière de la Parole d’aujourd’hui, il apparaît que l’Église a le devoir de dénoncer le péché. Qu’est-ce que le péché? Le péché c’est la mort de Dieu, c’est ce qui a été capable de mettre Dieu à mort sur une croix. Le péché c’est l’outrage à la loi de Dieu, c’est comme si l’on piétinait le dessein de Dieu. Le péché c’est le manque de respect à la volonté de Dieu et alors, l’homme qui veut chercher son bonheur au-dehors de Dieu, ou contre Dieu, place son bonheur dans les créatures, dans l’argent, dans le pouvoir politique, dans la chair, dans la luxure, dans un amour adultère. Cela, c’est tourné le dos à Dieu, qu’il s’agisse de l’argent, de la politique ou de la luxure, peu importe.

 

Monseigneur Pironio analyse le pĂ©chĂ© social de l’AmĂ©rique latine et il dit : « Cette iniquitĂ© sociale dans laquelle vit nos pays constitue une offense Ă  Dieu qui peut ĂŞtre expliquĂ©e en premier lieu par le fait que les ĂŞtres humains ne comprennent pas leur dignitĂ© et ne font pas assez d’effort pour se faire valoir, ils vivent dans un conformisme qui est le vĂ©ritable opium du peuple. Â» Cela est très courant. Les riches ne doivent pas penser qu’ils sont les seuls responsables du pĂ©chĂ© social. Les paresseux, les marginaux le sont Ă©galement, tous ceux en fait qui ne luttent pas pour connaĂ®tre leur dignitĂ© et pour s’amĂ©liorer, tous ceux qui s’endorment et qui restent tranquilles comme s’ils attendaient que d’autres rĂ©alisent leur destin, cela aussi est un pĂ©chĂ©.

 

C’est à partir de là que l’Église doit motiver cet homme endormi et c’est pourquoi nous avons ces centres de promotions paysannes, ces groupes de réflexions de la Bible, tout cela promeut et, grâce à Dieu, nous voyons de nombreux ouvriers, paysans, gens exclus qui sont en train d’apprendre le véritable sens de leur dignité. Et dans la mesure où ils apprennent à connaître leur dignité, ils s’éveillent également à la grande injustice qui les exclut. Si je suis moi aussi fils de Dieu, je dois aussi m’éveiller, je dois prendre part à la politique du bien commun de ma patrie, j’ai droit moi aussi aux biens que Dieu a créés pour tous. Non par la lutte des classes, ni par la violence, parce que l’Église, nous le répétons, ne prêche pas le communisme. Même si l’Église se sent solidaire de tous ceux qui luttent pour des revendications sociales, économiques ou politiques, elle porte dans son cœur une mystique très différente des autres libérateurs. 24/07/77, p.140-141, I-II.

 

 

Dans la ligne de l’Évangile

 

Qu’on tienne bien compte de ceci : la posture de l’Église qui travaille Ă  la promotion humaine ne suit pas les lignes du communisme, mais plutĂ´t les lignes de l’Évangile. Celui-ci est un pĂ©chĂ© auquel l’Église doit s’opposer. L’Église travaille Ă  la promotion des paysans, des exclus et c’est pour cela qu’elle est considĂ©rĂ©e comme subversive, qu’on l’expulse et qu’on la persĂ©cute. L’Église ne peut s’arrĂŞter de faire cette promotion et de dire : « Ne dors pas, tu es un fils de Dieu, travaille pour ta dignitĂ©, soit l’artisan de ton propre destin, contribue Ă  ton propre bien commun. Â» L’Église ne peut pas abandonner, elle ne peut pas renoncer Ă  cette mission de promotion que l’Évangile mĂŞme l’oblige Ă  prĂŞcher. Et les collèges catholiques et les centres de jeunesse doivent Ă©veiller la vĂ©ritable conscience de l’homme qui a Ă©tĂ© marginalisĂ© et qui s’est fait complice du pĂ©chĂ© social.

 

Mais il existe aussi une autre source à ce péché d’injustice, dit Monseigneur Pironio, c’est le péché personnel de celui qui accapare ce que Dieu a créé pour le bonheur de tous. N’allez pas dire que l’Église dit de tout répartir à parts égales entre tous, c’est une objection stupide qu’on attribue souvent à l’Église, comment pourrait-on répartir de manière égale entre tous et demain nous aurions terminé avec tout. Il ne s’agit pas de cela, il s’agit d’une transformation de la propriété privée. Il s’agit de faire en sorte que tout en respectant la propriété privée, l’on sache y donner un véritable sens social qui ne consiste pas seulement à produire toujours davantage, sinon à produire plus pour le bien commun de tous. Il s’agit ici de ce que Dieu a produit et fait fructifier pour que cela apporte le bonheur à tant de gens qui ne possèdent pas le nécessaire. Il s’agit là aussi d’un péché social qui, comme dans le cas de Sodome et Gomorrhe, clame vers le Ciel et amène Dieu à venir observer le fonctionnement de ces choses.

 

Un autre péché social qui crie aussi vers le Ciel est l’exclusion politique. Tous les hommes ont reçu de Dieu une capacité pour contribuer au bien commun. Ne pas laisser la personne humaine se réaliser en apportant au bien de la nation ce qu’elle peut donner, constitue également un abus, un accaparement des biens que Dieu a créés pour tous. L’Église ne peut non plus se taire devant les injustices de l’ordre économique, de l’ordre politique et social. Et elle ne se taira pas parce que l’Église serait alors complice de ceux qui excluent et endorment le peuple pour abuser et accaparer l’économie et la politique.

 

C’est cela, la voix de l’Église, frères, et tant qu’on ne lui laissera pas la liberté de proclamer ces vérités de son Évangile, il y aura de la persécution. Il s’agit de choses substantielles, non pas de choses sans importance. Ce sont des questions de vie ou de mort pour le Règne de Dieu sur cette Terre, où le Christ a voulu l’établir. C’est pour cela que le péché institutionnalisé est un péché structurel qui devient la norme.

 

Nous savons déjà mes frères que le péché dépend du cœur de chacun, mais c’est également du cœur de chaque personne que provient l’organisation de la société avec ces structures injustes, où l’être humain ne peut pas se développer à l’image et à la ressemblance de Dieu.

 

C’est pourquoi tous les professionnels, les personnes qualifiées et l’Église également, doivent apporter, pour faire la volonté de Dieu, pour que ses desseins ne soient pas frustrés par le péché des hommes et des femmes. 24/07/77, p.141-142, I-II.

 

 

Prier comme il se doit

 

C’est pour cela qu’existe l’Église, pour nous enseigner à prier. Mais pour enseigner à prier comme il se doit. Pas cette pratique qui endort, qui dit de se conformer, de vivre pauvre en attendant la récompense que Dieu te donnera au Ciel. Cela, ce n’est pas du christianisme, c’est pour cela qu’on nous traita d’opiums du peuple, et en cela les communistes avaient bien raison, parce que pendant que ceux-ci travaillaient, les chrétiens priaient et ne faisaient rien. Mais, ici, le christianisme l’emporte sur le communisme. Quand il travaille comme un communiste et qu’il croit en Dieu comme un chrétien.

 

Voyez la différence, parce que l’Église doit travailler à cette double promotion, celle d’éveiller l’homme pour qu’il développe ses capacités et celle de lui faire croire en Dieu, le Transcendant, sans lequel, avons-nous dit dans la prière d’aujourd’hui, rien n’est valide, rien n’est puissant. C’est cela, la liberté, si nous parvenons à donner à l’Église cette liberté authentique. C’est pour cela que nous avons dit au gouvernement que le dialogue servira précisément à apprendre à parler le même langage. Un groupe de réflexion de la part du gouvernement et un autre groupe en provenance de l’Église afin de ne plus qualifier de subversif et de politique ce qui est en fait la promotion évangélique et chrétienne, pour ne plus expulser des prêtres uniquement parce qu’ils enseignent à travailler et à prier dans un véritable sens moderne d’évangélisation. Lorsque nous réfléchissons dans une ambiance de confiance envers l’Église qui travaille pour cette promotion, celle-ci demeure tout à fait disposée à collaborer à cette humanisation de l’être humain, à l’humanisation du capital et du travail. Cela n’est pas autre chose que ce que l’Église désire. 24/07/77, p.143-144, I-II.