La Cène Pascale

 

Jeudi saint; 23 mars 1978; Lectures : Exode 12,1-8.11-14; I Corinthiens 11,23-26; Jean 13,1-15.

 

 

Plan de l’homĂ©lie :

1) Une histoire d’Israël

2) Un Christ qui l’incarne

3) Prolongation eucharistique jusqu’à la consommation des siècles

 

 

1) Une histoire d’Israël

 

C’est une histoire ancienne que nous raconte le livre de l’Exode (12,1-8, 11-14). Les juifs cĂ©lĂ©braient en cette pleine lune du mois de « Nisan Â», un mois hĂ©breu qui coĂŻncide avec nos mois de mars et d’avril. « Ce sera le premier mois de l’annĂ©e, vous cĂ©lĂ©brerez Pâques. Â» Pâques Ă©tait la cĂ©lĂ©bration de deux grands ministères de l’Ancien Testament : la libĂ©ration d’Égypte et l’Alliance avec le Seigneur. Pâques et l’Alliance. Pâques Ă©tait ce moment oĂą les IsraĂ©lites, rĂ©duits en esclavage par le Pharaon en Égypte, purent sortir de ce pays une fois la dixième plaie advenue, celle-ci consista en la mort de tous les premiers-nĂ©s d’Égypte. Et pour que les HĂ©breux puissent Ă©chapper Ă  ce terrible sort, Dieu leur dit, par la voix de MoĂŻse, qu’ils devaient sacrifier un agneau et marquer de son sang les linteaux des portes de leurs habitations parce qu’en cette nuit allait passer l’ange du Seigneur. Le pas de l’ange, c’est ce que signifient Pâques : le pas de Dieu qui pour les Égyptiens va ĂŞtre un châtiment et pour IsraĂ«l sa libĂ©ration.

 

Et cette nuit, tandis que les Égyptiens pleuraient leurs premiers-nés qui mouraient, les Israéliens marqués du sang de l’agneau, sortaient de l’esclavage pour traverser le désert et marcher jusqu’à la terre promise. Tous les ans, ils célèbrent ce qui ressemble à notre fête nationale, la fête de l’émancipation, la fête de la liberté, la fête où Dieu passa en sauvant Israël. Et en même temps où cette fête du passé se fait d’actualité, commémorant que Dieu avait conclu une Alliance entre Lui et ce peuple. Par cette Alliance, Israël s’engageait à respecter la loi de Dieu et Dieu s’engageait à protéger ce peuple d’une manière spéciale. Pâques et l’Alliance allaient rencontrer une personnification lorsque le plus grand des juifs, fils d’Abraham, de David, de la sainte descendance d’Israël, va célébrer Pâques.

Ce soir, le Christ Notre Seigneur, comme tout bon Israélite, avec le groupe d’Israélites qui étaient ses apôtres, qui formaient comme une famille, envoyèrent tuer un agneau pour le manger en cette nuit du Jeudi saint comme faisaient toutes les familles d’Israël, se souvenant de l’histoire ancienne de la libération et de l’Alliance. Comme devaient bouillir dans l’esprit du Christ tant de souvenirs de l’Histoire sainte, comme devait se faire présente toute l’histoire d’Israël dans la vie du Seigneur en cette nuit d’émotions profondes. Il n’eut jamais un patriote qui aima autant son peuple, sa terre et ses coutumes que Notre Seigneur Jésus-Christ. Lorsque nous voulons être des Salvadoriens authentiques, regardons le Christ qui fut le patriote authentique qui vit l’histoire de son peuple, qui sentit comme sienne et comme présente l’esclavage d’Égypte, et qui vécut avec gratitude la liberté et l’Alliance entre Dieu et son peuple. Tout cela était présent dans le cœur du Christ en cette nuit de commémorations, mais pour Lui, cela signifiait un mystère spécial. 23/03/78, p.93-94, IV.

 

 

2) Un Christ qui l’incarne

 

C’est lĂ  la seconde rĂ©flexion de ce soir : Le Christ incarne toute l’Histoire du Salut. Le Christ l’avait dit Ă  la Samaritaine (Jn 4, 21-23) : « L’heure vient oĂą ce n’est ni sur cette montagne ni Ă  JĂ©rusalem que vous adorerez le Père. […] Mais l’heure vient oĂą les vĂ©ritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vĂ©ritĂ©, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. Â» Le Christ avait dit en ces jours, et cela avait Ă©tĂ© une des accusations les plus graves du SanhĂ©drin.

(Mt 26,61) : « Cet homme a dit : Je puis dĂ©truire le Sanctuaire de Dieu et le rebâtir en trois jours. Â» Et l’Évangile ajoute (Jn 2,21) : « Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Â» Parce qu’en son corps se trouvait le temple qui contenait l’Alliance de Dieu, la victoire, la libertĂ© du peuple d’IsraĂ«l. Il Ă©tait le temple, la victime, le prĂŞtre, l’autel. Il est tout pour la RĂ©demption. En JĂ©sus-Christ Notre Seigneur s’incarne toute l’espĂ©rance patriotique d’IsraĂ«l, toute l’espĂ©rance des humains. Le Christ sent en cette nuit qu’Il est l’Agneau qui enlève les pĂ©chĂ©s du monde, que son sang est celui qui va marquer de libertĂ© le cĹ“ur de l’être humain qui veut ĂŞtre vĂ©ritablement libre. Il est le prĂŞtre qui Ă©lève depuis cette nuit, l’adoration au Père et qui apporte du Père le pardon et les bĂ©nĂ©dictions Ă  son peuple.

 

Demain, Vendredi saint, lorsque le tourment du Christ culmine par sa crucifixion sur la croix, demeure ici depuis la veille, depuis cette nuit, le mĂ©morial de sa passion. Le Christ meurt sur la croix, Il est l’Agneau dont le sang marquera les cĹ“urs de ceux qui croient en Lui, ils seront libres, ils ne souffriront plus des tourments du pĂ©chĂ©. Il est Celui qui vient enlever le pĂ©chĂ© du monde, Celui qui vient remplir d’espoir les cĹ“urs. Bienheureux, frères, les chrĂ©tiens qui en cette nuit, cĂ©lèbrent la dernière cène avec le Seigneur! Aujourd’hui nous faisons partie de sa famille israĂ©lienne pour tuer l’Agneau qui est le mĂŞme et manger sa chair qui est notre communion (Mt 26,26-27) : « JĂ©sus prit le pain, le bĂ©nit, le rompit et le donna aux disciples. « Prenez, mangez, ceci est mon corps. Â» Puis, prenant une coupe, Il rendit grâce et la leur donna en disant : « Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va ĂŞtre rĂ©pandu pour une multitude en rĂ©mission des pĂ©chĂ©s. Â» 23/03/78, p.95, IV.

 

 

3) Prolongation eucharistique jusqu’à la consommation des siècles

Ceci est la troisième pensĂ©e : L’Eucharistie. Le corps et le sang du Seigneur qui se font prĂ©sents sur l’autel Ă  chaque fois qu’un prĂŞtre cĂ©lèbre la messe, c’est tout le sacrifice du Christ sur la Croix, c’est toute l’Histoire d’IsraĂ«l qui dĂ©bouche ici, sur l’autel. Plus encore, dans l’Eucharistie, vient de nous dire saint Paul (I Cor 11, 26) : « Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’Il revienne. Â» Le peuple chrĂ©tien est un peuple qui vit d’un souvenir, celui du Calvaire, mais non pas comme un souvenir, sinon comme quelque chose qui demeure actuel, plus encore, qui est une espĂ©rance de futur. Ce Christ, qui se fait prĂ©sent dans notre hostie Ă  la messe, est un Christ qui reviendra, c’est un Christ qui doit venir pour juger l’Histoire, c’est un Christ en qui tous les peuples rencontrent la solution Ă  leurs problèmes, la solution dĂ©finitive. En Lui seul, nous pouvons la rencontrer parce qu’Il est l’espĂ©rance d’un peuple qui est en pèlerinage au travers l’Histoire martyrisĂ©e, tourmentĂ©e, mais avec l’espĂ©rance d’une libĂ©ration qui sera dĂ©finitive.

 

C’est pourquoi notre messe de cette nuit doit être une prière d’Action de grâce au Seigneur, de remerciement parce qu’Il nous a rachetés et parce que toute la douleur de la croix est demeurée prisonnière de cette hostie consacrée sur l’autel. Parce que son sang qui vient parapher l’Alliance entre Dieu et les humains, c’est un sang frais qui cette nuit vient affirmer le pacte, l’Alliance éternelle entre Dieu et nous. Bienheureux le peuple chrétien qui, davantage que le peuple d’Israël qui signa avec du sang d’agneau son alliance avec Dieu, nous chrétiens paraphons avec le sang de Dieu, avec le sang du Christ sur une croix et se fait présent dans notre hostie, l’amour que Dieu a pour nous et l’espérance que nous mettons en Lui. 23/03/78, p.95-96, IV.

 

 

Un cadre d’amour

 

Tout au long de l’histoire, personne ne connut un amour aussi fou, aussi exagĂ©rĂ© au point de se faire crucifier sur une croix. Il n’y a pas d’ami qui ait donnĂ© sa vie pour un ami avec autant de douleur et d’amour que le Christ Notre Seigneur. C’est cela, le cadre de Pâques. Et c’est pourquoi le Christ nous dit – ce qui sera Ă©galement le signal du christianisme – « un commandement nouveau je vous donne Â». Ce commandement, cette nuit, se fait frais Ă  notre mĂ©moire et en notre vie : aimez-vous comme je vous ai aimĂ©s.

C’est cela la grande infirmitĂ© du monde d’aujourd’hui : ne pas savoir aimer. Tout est Ă©goĂŻsme, tout est exploitation de l’homme par l’homme, tout est cruautĂ©, torture, tout est rĂ©pression, violence. On brĂ»le les maisons de nos frères, on emprisonne notre frère et on le torture, on commet tant de grossièretĂ©s les uns envers les autres. Comme souffrirait JĂ©sus de voir ce soir l’ambiance de notre patrie, de tant de crimes et d’autant de cruautĂ©s. Il me semble que j’aperçois le Christ attristĂ© depuis la table de Pâques, qui regarde le Salvador en disant : « Je leur avais dit de s’aimer les uns les autres comme Je les avais aimĂ©s. Â»

 

Réfléchissons, frères, en cette nuit où le cadre de l’amour devient une réclamation pour que nous célébrions notre Semaine sainte. Il ne célèbre pas la Semaine sainte celui qui abrite dans son cœur des sentiments d’égoïsme, des sentiments de cruauté envers son frère. Seul célèbre Pâques avec le Christ celui qui sait aimer, celui qui sait pardonner, celui qui sait exploiter la plus grande force que Dieu a placée dans le cœur de l’homme, l’amour.

 

Très chers jeunes, les dĂ©vots de la violence et du vice, ceux qui ont dĂ©jĂ  perdu la foi dans l’amour et qui croient que l’amour ne règle rien. Nous en avons ici la preuve, seul l’amour peut tout arranger. Si le Christ avait voulu imposer la RĂ©demption par la force des armes, des incendies et de la violence, Il ne serait arrivĂ© Ă  rien. Peine perdue, plus de haine et davantage de mĂ©chancetĂ©. Mais parce que le Christ a mis la clĂ© dans le cĹ“ur de la RĂ©demption, ce soir Il nous dit : « Ceci est mon commandement : aimez-vous comme Je vous ai aimĂ©s. Et pour que vous voyiez qu’il ne s’agit pas seulement de mots, cette nuit vous allez voir que je vais jusqu’à suer du sang devant le mal des humains et la douleur de mes souffrances, et demain, lorsque comme un Agneau silencieux ils vont me clouer sur la croix et que je vais mourir sur la croix, sachez que je n’emporte aucun ressentiment envers personne et que du fond de mon âme je vais crier : Père, pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font! Â»

 

Voyez, mes frères, le geste d’amour personnifié. Dans nos tentations de vengeances, de ressentiments, d’égoïsmes, de cruautés, ne regardons pas le triste exemple des hommes qui se haïssent, mais levons le regard vers l’amour qui se fait Agneau, qui se fait nourriture, qui se fait Pâques, qui se fait Alliance. 23/03/78, p.96-97, IV.

 

 

Un cadre d’humilité

 

Et le Christ nous enseigne Ă©galement le chemin pour parvenir Ă  ces hauteurs, le chemin de l’humilitĂ©. C’est pourquoi on oblige les prĂŞtres Ă  prĂŞcher davantage que par la parole, mais par ce geste que nous allons accomplir maintenant. Le Christ nous dit : « Vous m’appelez MaĂ®tre et Seigneur et Je le suis, mais si Je suis votre MaĂ®tre et votre Seigneur, faites ce que je fais. Â» Et se dĂ©vĂŞtant, il commence Ă  se sentir comme un esclave, en se prosternant aux pieds des apĂ´tres pour leur laver les pieds. C’était la tâche des esclaves de laver les pieds des invitĂ©s, laver les pieds comme l’humble service du cireur de chaussures qui, devant celui Ă  qui il nettoie les souliers, est comme un serviteur. Le Christ Ă©galement, davantage nous dit saint Paul, puisqu’Il se dĂ©possède de sa catĂ©gorie de Dieu et apparaĂ®t comme un homme quelconque, comme un esclave. Cette nuit, s’humiliant devant les pieds de ses apĂ´tres, devant Judas lui-mĂŞme, et demain avec la mort d’un esclave, parce que la crucifixion n’était pas pour les citoyens romains, elle Ă©tait rĂ©servĂ©e aux esclaves du peuple romain. Esclave, celui qui est de Dieu? Il est humble le Seigneur des seigneurs. Quel grand exemple pour cette heure des orgueilleux, des vaniteux et des hautains! Par manque d’humilitĂ© le monde est ce qu’il est, parce que personne ne veut ĂŞtre infĂ©rieur Ă  personne, parce que nous voulons que le monde tourne autour de nous, parce que nous nous sommes divinisĂ©s, parce que nous nous sommes idolâtrĂ©s.

 

Il est nĂ©cessaire, frères, de tirer toutes ces idoles, celui du « Je Â» en premier lieu, pour que nous soyons humbles et c’est seulement Ă  partir de cette humilitĂ© que nous saurons ĂŞtre rĂ©dempteurs. Sachons ĂŞtre collaborateurs de la vĂ©ritable collaboration dont le monde a besoin. Des libĂ©rations oĂą l’on crie contre les autres ne peuvent pas ĂŞtre de vĂ©ritables libĂ©rations. Des libĂ©rations qui cherchent Ă  dĂ©clencher des rĂ©volutions de haines et de violence en enlevant la vie aux autres ou en rĂ©primant leur dignitĂ© ne peuvent pas ĂŞtre de vĂ©ritables libĂ©rations. La vĂ©ritable libertĂ© est celle qui se fait violence Ă  soi-mĂŞme et qui comme le Christ, en mĂ©connaissant sa condition souveraine, se fait esclave pour servir les autres. Ceux-lĂ  sont les vĂ©ritables libĂ©rateurs qui en cette heure terrible demandent Ă  notre patrie des cĹ“urs humbles, des cĹ“urs dans lesquels brille l’amour comme caractĂ©ristique chrĂ©tienne. 23/03/78, p.98, IV.