L’Église, communauté prophétique,
sacramentelle et d’amour
Vingt-troisième dimanche ordinaire;
10 septembre 1978; Lectures : Ézéquiel 33,7-9; Romains 13,8-10; Matthieu
18,15-20.
Très chers frères, les lectures
bibliques que nous avons écoutées – non seulement avec une attention humaine,
mais avec une véritable foi, parce que c’est la Parole de Dieu –, je suis
heureux de vous dire qu’elles correspondent avec le fondement théologique et
pastoral de la Lettre pastorale qui ces jours-ci est venue Ă votre
connaissance. Je voudrais que cette Lettre pastorale soit un objet de réflexion
dans les communautés, qu’elle soit étudiée attentivement. Néanmoins, nous
n’avons pas pu répondre à la demande de cette semaine avec l’édition que nous
avions annoncée, mais dès les premiers jours de la semaine prochaine nous
aurons la nouvelle édition. D’autre part, dans l’hebdomadaire Orientación qu’aujourd’hui nous
distribuons, apparaît le texte intégral de la Lettre pastorale. Lorsque cela
vous apparaîtra opportun lors de vos réunions, en famille ou en petits groupes,
étudiez-la et vous verrez comment l’idée centrale présente l’identité de
l’Église, c’est-à -dire la nature et la mission authentique de l’Église fondée
par le Christ. Celles-ci sont basées précisément sur cette Parole de Dieu que
nous allons réfléchir à la lumière des textes bibliques. C’est une nature et
une mission que l’Église doit garder bien claires à l’esprit des catholiques,
de ceux qui la forment. À partir de là , ayant une idée précise, claire et
nette, de ce qu’est l’Église, nous pourrons apporter notre aide, sans peur, au
monde avec tous ses problèmes. C’est pour cela qu’existe l’Église, ce pourquoi
le Christ l’a fondée, non pas pour se préserver et se conserver elle-même,
sinon qu’en se conservant, elle serve le monde.
Les relations de l’Église avec les
organisations populaires sont le thème de la Lettre pastorale. C’est un service
que l’Église doit apporter aux organisations politiques de paysans et
d’ouvriers, à tous les hommes qui veulent s’organiser avec l’idéal d’un monde,
d’une patrie meilleure. L’Église agirait mal en se refermant sur elle-même,
avec son trésor de doctrine, avec sa force morale en ne tentant pas de
répondre, depuis la Parole de Dieu, aux questions angoissantes du monde actuel,
de notre patrie actuelle. Nous l’avons répété à plusieurs reprises, l’Église
n’est pas une organisation populaire. Dans cette Lettre pastorale, nous disons
que l’Église, sans s’identifier à ces organisations, leur rend un service
irremplaçable. En premier lieu, c’est au sein de leur communauté ecclésiale que
plusieurs chrétiens prirent conscience des exigences de l’Évangile et de la
justice chrétienne pour construire un monde juste. De sorte que l’Église n’a
aucunement honte que de ses communautés soient sortis des hommes et des femmes
inquiètes socialement et politiquement. Le Concile lui-même rappelle qu’un des
devoirs les plus graves de l’heure actuelle est l’éducation civique et politique,
et que les hommes qui possèdent la capacité pour cet art noble qu’est la
politique se cultivent et s’y prĂ©parent. L’Église n’a pas honte de dire qu’Ă
l’origine de plusieurs politiciens et de plusieurs groupes ou organisations, on
retrouve une réflexion sur la Parole de Dieu. Mais l’Église demeure
authentique, comme le foyer, comme la mère lorsqu’elle a fini d’élever ses
enfants et qu’ils s’en vont. Elle sait avec joie qu’elle leur a donné cette
conscience, cette responsabilité et que ses fils et ses filles iront dans le
monde à la recherche d’options concrètes desquelles ils seront responsables.
C’est également à partir de cette
identité d’Église, sans se confondre avec les organisations populaires, qu’elle
défend le droit d’organisation. C’est un droit humain. Personne ne peut
empêcher un homme de s’organiser avec qui il veut, à condition que les fins
qu’il recherche soient honnêtes et bonnes, qu’elles soient pour survivre ou
pour avoir du pain sur la table de son foyer, pour améliorer ses conditions de vie.
L’Église défend et elle l’a fait grâce à Dieu, ce droit d’organisation. Un
autre service irremplaçable de l’Église – que nous défendons dans notre Lettre
pastorale – est l’appui aux justes revendications de quelques organisations
qu’elles proviennent. Il n’est pas nécessaire que cette organisation soit
explicitement chrétienne. Il suffit qu’une organisation poursuive une juste
fin. L’Église l’appuie parce que son devoir est de défendre la justice du Règne
de Dieu et s’il y a un reflet du Règne de Dieu dans un groupe humain, l’Église
sait que là se trouve Dieu qui lui demande son engagement pour défendre la
justice qui s’y retrouve. Tout comme, un autre service de l’Église qu’elle est
l’unique à pouvoir dire à partir de l’Évangile, l’Église a le devoir et le
droit de dénoncer l’injustice, le mal et le péché qui se trouvent dans
n’importe quelle organisation, même si celle-ci se dit chrétienne. L’Église
n’est pas engagée avec aucune d’elles afin de pouvoir leur dire ce qui est
mauvais dans leurs actions, ce qui est péché, ce qui doit être dénoncé et
répudié. Grâce à Dieu, l’Église le fait. Ici dans l’archidiocèse, elle a fait
son devoir de défendre la justice et de dénoncer l’injustice. Mais pour pouvoir
rendre ce service, surtout celui d’incorporer les inquiétudes des hommes qui
recherchent la justice, qui revendiquent sur la Terre, l’Église doit les
incorporer à la grande libération du Christ, à la grande Rédemption.
10/09/78, p.173-175, V.
L’Église dit Ă tous les hommes et Ă
toutes les organisations qui poursuivent une noble et juste fin, que cela est
bon, mais que cela ne suffit pas, il faut l’incorporer à la Rédemption
chrétienne. Si tu ne te libères pas du péché que le Christ est venu rompre –
les chaînes du péché –, si tu ne t’élèves pas jusqu’à devenir enfant de Dieu
par la grâce et la sainteté, si ta libération se passe du Christ et qu’elle se
fie seulement aux idéologies de la Terre, ta libération ne sera pas complète.
Je veux te servir, en te conduisant par la main à la véritable Rédemption,
vers ton véritable destin, vers la vocation intégrale de l’être humain. C’est
cela, le grand service de l’Église, et c’est pour cela, pour pouvoir prêter ce
service, pour pouvoir avoir ces relations avec les organisations populaires,
avec les groupes humains que l’Église doit être maîtresse d’elle-même, de son
identité. Comme un médecin – Paul VI utilise cette comparaison dans sa première
encyclique Ecclesiam Suam – qui va
soigner une zone infectée, pour ne pas être contaminé, il s’immunise sinon il
tombera malade lui aussi. À quoi servirait un médecin malade pour les malades?
C’est pourquoi il s’immunise tout comme l’Église le fait avec sa propre
identité. C’est pour cela que l’Église ne peut se confondre avec aucune
idéologie ou organisation de la Terre pour pouvoir leur rendre son service
d’Église. Tout comme le médecin donne son véritable service de soigner les
malades en s’immunisant lui-même contre la maladie. Je ne dis pas
que toutes les organisations sont malades, mais il s’agit d’une comparaison
pour vous dire comment l’Église, en rendant ces services, doit premièrement
bien définir quelle est sa mission. 10/09/78, p.175, V.
C’est cela l’Église! Un groupe
d’hommes et de femmes qui s’alimentent de la Parole de Dieu. Qui s’alimentent
de l’Eucharistie, comme vous qui êtes venus à la messe aujourd’hui, c’est cela
l’Église! Ici dans l’église le dimanche, celui qui m’a écouté avec sincérité,
sans préjugé, sans haine, sans méchanceté, sans intention de défendre ce qui ne
peut l’être, celui qui m’a entendu ici, ne peut pas dire que je fais des
sermons politiques ou subversifs, tout cela c’est de la calomnie, rien de plus.
Ils m’écoutent en ce moment ceux-là et je répète ce que j’ai toujours dit. Ce
que je dis depuis l’ambon de la cathédrale c’est ce qu’est l’Église. Et depuis
cette Église, appuyer le bon, le féliciter, l’encourager, consoler les victimes
des outrages, des injustices et aussi avec vaillance dénoncer les abus, les
tortures, les disparitions, l’injustice sociale, cela ce n’est pas faire de la politique. Cela se
nomme construire l’Église et accomplir son devoir à partir de sa propre
identité. J’ai la conscience bien tranquille et je fais appel à tous les
chrétiens afin que nous construisions la véritable Église. C’est à cela que
nous invite la Parole que nous avons lue aujourd’hui.
L’Évangile de saint Matthieu
(18,15-20) est celui qui nous donne le thème pour toute cette année. Ne
négligeons pas cette pensée. Chaque dimanche, nous lisons un morceau de
l’Évangile de saint Matthieu, et pour mieux le comprendre nous éclairons cette
idée à partir de l’Ancien Testament. Aujourd’hui, c’est Ézéquiel (33,7-9) qui
illumine merveilleusement le problème que Jésus-Christ traite dans l’évangile
de Matthieu et dans les épîtres des apôtres, qui apparaissent comme les déductions
directes du magistère du Christ à titre de comparaisons. L’Évangile est éclairé
par l’Ancien Testament, il est commenté par les épîtres des apôtres et il
arrive jusqu’à nous pour nous donner l’idée de ce qu’est l’Église de
l’archidiocèse de San Salvador en 1978. Il s’agit de la même Église que le
Christ a annoncée dans son Évangile, l’Église que les prophètes annoncèrent et
que les apôtres enseignèrent aux premiers chrétiens.
C’est l’immense honneur que je
ressens. C’est pourquoi je suis heureux que prévale une atmosphère positive
lors de mes prédications et que cette parole soit écoutée avec le désir sincère
de connaître et de construire parmi nous la véritable Église du Christ, en
1978, ici au Salvador. Je vous disais – et cela me fait très plaisir de savoir
que plusieurs qui entendirent cela réclament le schéma de l’Évangile de saint
Matthieu qui est la lecture de cette année – ne vous attendez pas à recevoir un
livre, il s’agit d’un schéma, d’une feuille simplement. À ceux qui détiennent
une Bible de Jérusalem, je les avise que ce schéma s’y trouve, au début des
Évangiles où il est écrit : Introduction aux Évangiles synoptiques.
Cherchez-y l’Évangile de saint Matthieu et vous y trouverez ce précieux
commentaire qui dit que cet Évangile apparaît comme un drame en sept actes sur
la venue du Règne de Dieu. Il y est décrit et indiqué les chapitres qui
correspondent à chaque partie, à chaque acte, de ce précieux drame. Lorsqu’il
parle du cinquième acte, du chapitre 16 à 18 de l’Évangile de saint Matthieu,
on parle des commencements du Règne de Dieu sur la Terre, dans un groupe de
disciples qui a Pierre comme chef. Les prémices de l’Église dont les règles de
vie se dessinent dans le discours communautaire. Aujourd’hui précisément, le
passage du chapitre 18 fait partie du discours du Christ sur la communauté.
Rappelez-vous que l’Évangile,
davantage qu’une biographie du Christ, est la réflexion des premières
communautés sur les enseignements du Christ, et que les apôtres écrivirent
comme fruit de ces réflexions les discours dont ils se souvenaient du Christ,
mais après les avoir médités en communauté. Il est intéressant de savoir que ce
chapitre 18 est le fruit de la première communauté chrétienne et qu’il nous
indique comment était l’Église qui germait à sa source, du Christ qui l’avait
récemment créé. On parle ici de l’humilité que doivent avoir ses pasteurs. Les
apôtres discutaient pour savoir qui était le plus grand – le débat hiérarchique
de toujours – et le Christ leur dit non, ici celui qui désire être grand devra
devenir comme un enfant, serviteurs de tous. L’autorité dans l’Église n’est pas
de commander, c’est de servir et celui qui ne devient pas comme un enfant dans
le christianisme, ne pourra entrer au Règne des Cieux.
Plan de l’homélie :
1) L’Église, une communauté
prophétique
2) L’Église, une communauté
sacramentelle
3) L’Église, une communauté d’amour.
C’est cela l’Église. Ce sont là les trois caractéristiques qui sont comme le
résumé de nos trois lectures.
1) L’Église, une communauté prophétique
Je dis en premier lieu que l’Église
que le Christ voulut, c’est une communauté prophétique. Le Concile dit, en
commentant cette pensée (L. G.12) : « Le saint Peuple de Dieu,
participe à la fonction prophétique du Christ en diffusant son témoignage vivant
dans sa vie de foi et de charité. » Voyez-vous tous, vous êtes le peuple
prophétique, un peuple que Dieu a organisé pour répandre le témoignage vivant
de sa doctrine. Ce même Concile, lorsqu’il parle du mariage des laïcs, dit que
la vie de famille est une situation propice pour développer ce sens prophétique
du Peuple de Dieu, parce qu’en vivant saintement, les époux en relation avec
leurs enfants, sont comme une petite Église et qu’à partir d’elle, avec leurs
vertus, ils animent la sainteté de la société, ainsi comme elle reproche le
mal, l’injustice et ce qu’il y a de pernicieux en ce monde. Il n’existe pas de
reproche plus grand pour une société pécheresse qu’une famille sainte. Un
appel, de la part du Peuple de Dieu, de la part de la Parole divine pour tous
ceux qui participent à cette réflexion, membres d’une famille, nous vous
proposons de faire de votre foyer, des relations des Ă©poux entre eux et avec
vos enfants, un modèle, un témoignage d’amour, de sainteté, de justice, de
charité au sein de ce monde égoïste, pécheur et violent.
Il n’y a rien de plus nécessaire en
cette heure de violence et de terrorisme que les foyers saints qui transpirent
l’amour. La mission prophétique est une obligation de Dieu. C’est pour cela
que, lorsqu’avec un ton ironique on me dit que je me prends pour un prophète,
je leur dis : « Béni soit Dieu! » Et toi aussi tu dois l’être
parce que tout chrétien, tout le Peuple de Dieu, toutes les familles doivent
développer un sens prophétique pour donner un sens à la mission de Dieu en ce
monde. Porter une présence divine qui réclame justice et qui rejette le péché.
Supposons, dit Paul VI dans son exhortation sur l’Évangélisation du monde
actuel, qu’un groupe de chrétiens se proposent de vivre avec l’authenticité de
l’Évangile dans lequel ils croient. Ce groupe est déjà en soi une interrogation
pour le monde. Quelle classe de gens est-ce cela, qu’espèrent-ils,
qu’aiment-ils, qui sont-ils? Et c’est lĂ que commence le christianisme. LĂ , Ă
Jérusalem, nous dit le livre des Actes des Apôtres, ils s’unissaient pour
vivre, et le peuple remarquait à quel point ils s’aimaient et ils louaient
Dieu. La communauté où il n’existe pas d’inégalités sociales, où celui qui
possède partage avec celui qui n’en a pas et où personne n’avait honte d’être
pauvre, ni personne ne s’enorgueillit d’être riche. C’est cela le témoignage de
la charité et de l’amour, la communauté prophétique annonçait par sa seule
présence ce que Dieu attendait des humains lorsqu’Il les a créés comme des
ĂŞtres sociaux.
C’est ce que nous découvrons dans les
lectures d’aujourd’hui. La première lecture est merveilleuse – Ézéquiel (33,
7-9). Il paraît que peu d’hommes ont pénétré autant le mystère de Dieu comme ce
prophète, au point que cela semble anormal. Voyez comment prendre quelqu’un
pour un fou constitue une ignominie. Le prophète Ézéquiel était considéré comme
fou, il s’était tant avancé dans le monde de Dieu que les hommes le
considéraient anormal. Qui sont les anormaux, ceux qui se sont tant éloignés de
Dieu que ceux qui le recherchent leur semblent anormaux, ou bien ceux qui
fondent le centre de leur vie en Dieu? Ainsi, ce prophète Ézéquiel, fou pour le
monde, prêche ce grand mystère, cette parabole que nous avons écoutée
aujourd’hui. Le chapitre 33 d’Ézéquiel est peut-être une des descriptions les
plus belles de la mission prophétique que Dieu a voulue pour les hommes. La
parabole est la suivante : « Si Dieu permet la guerre contre un
peuple, ce peuple nomme des sentinelles qui veillent pour observer quand
l’ennemi s’approche. Et lorsqu’il s’approche, ils sonnent le cor. Et dans la
ville on entend la trompette.
Celui qui entend la trompette et se
prépare à se défendre ne mourra pas, comme non plus ne mourra pas la sentinelle
parce qu’elle accomplit son devoir. Mais celui qui entend la sentinelle sans en
tenir compte mourra parce que la sentinelle a rempli sa tâche. » Si, au
contraire, dit la parabole : La sentinelle néglige d’accomplir son devoir,
en ne sonnant pas la trompette, l’ennemi rentre et ceux qui s’y étaient préparés
ne seront pas vaincus, mais la sentinelle est responsable de sa négligence et
par la faute de la sentinelle mourront également d’autres qui ne s’y étaient
pas préparés. Tous sont condamnés : la sentinelle et le peuple. Ensuite,
le prophète applique cela à sa propre mission : « Je suis la
sentinelle. » Le prophète est une sentinelle, une vigile et, lorsque Dieu
dit : « maudits, convertissez-vous », le prophète doit être la
trompette de Dieu pour dire : « maudits, convertissez-vous ». Et
si le maudit ne se convertit pas, il se perdra, mais le prophète sauve sa
responsabilité. Mais si le prophète ne crie pas, le maudit se perdra par sa
faute. Mais moi, dit Dieu, je demanderai également des comptes au prophète
parce qu’il n’a pas proclamé, qu’il ne fut pas une trompette ni une vigile.
10/09/78, p.177-178, V.
C’est cette même parabole que nous
rencontrons dans l’Évangile (Mt 18, 15-20) d’aujourd’hui, où le Christ
dit : « Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le,
seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il n’écoute pas, prends
encore avec toi un ou deux autres témoins, pour que toute l’affaire soit
décidée sur la parole de deux ou trois témoins. Que s’il refuse de les écouter,
dis-le à la communauté.
Et s’il refuse d’écouter même la communauté qu’il soit pour
toi comme le païen et le publicain. » Dans le langage du Christ, ces
paroles signifient qu’il soit excommunié, qu’il n’appartient plus à cette
communauté à cause de son obstination.
Ici, nous avons l’explication que
l’Église possède une mission prophétique. Pourquoi un prophète doit-il
intervenir entre Dieu et le méchant? Pourquoi une communauté est-elle appelée
comme témoin? Parce que s’il n’écoute pas la communauté il sera mis dehors.
Nous avons ici deux grandes explications que vous devriez prendre en compte. La
première concerne l’existence du péché social. La lecture biblique
d’aujourd’hui l’a bien dit : « Le méchant se perdra par sa
faute », mais elle mentionne aussi la coresponsabilité du prophète qui n’annonce
pas. Tout homme qui laisse passer les injustices, surtout s’il peut les éviter,
toute famille qui se conforme dans l’égoïsme et ne met pas le sens chrétien
dans sa vie, tout foyer qui ne se sanctifie pas comme Dieu le veut et qui vit
dans le péché, s’est contaminé, s’est fait complices du péché social. À tel
point que dans un pays comme le Salvador on a décrété une loi pour conserver
l’ordre. Quel ordre? L’ordre de l’injustice, que l’on ne doit pas toucher afin
que se maintienne telle quelle cette situation que l’on ne peut dénoncer, car
ce serait lĂ faire de la
politique. C’est cela le Salvador, le péché institutionnalisé
que dĂ©crit MedellĂn. [Interrompu par de forts applaudissements.] Votre attitude
démontre que vous êtes d’accord avec le fait que l’Église ne peut se taire. Ses
pasteurs doivent parler. Nous devons tous être un peuple prophétique, appelé
par l’intention du prophétisme.
Ézéquiel, si vous continuez de lire
plus avant le chapitre 33, dit aux fils d’Israël, à ses paysans :
« Ne soyez pas pessimistes, vous avez dit que Dieu nous a abandonnĂ©s Ă
cause de nos péchés. Qui pourra nous sauver? Le prophète élève l’esprit et
dit : « Dieu aussi dit : Je ne désire pas la mort du pécheur,
mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Je suis un Dieu de pardon, je suis un Dieu
qui veut le juste, je suis un Dieu qui réclame et qui punit, mais je suis aussi
un Dieu qui est disposé au pardon. » Et ici, j’aimerais invoquer le
souvenir de vous tous qui avez eu la bonté de suivre mes réflexions depuis plus
d’une année. Chaque fois qu’il y a eu un outrage, chaque fois que nous avons
dénoncé quelque chose, nous terminions par un appel à la conversion.
Convertissez-vous, pécheur! Lorsqu’ici en cathédrale nous
célébrions les funérailles du Père Grande – assassiné – nous disions :
« Grâce à Dieu ceux qui l’assassinèrent nous écoute depuis leur repère
d’assassin et je leur dis : « Convertissez-vous, le Seigneur vous
aime, Il vous attend! » Jamais la haine ou le ressentiment n’est présent
dans la dénonciation des prophètes. Le peuple prophétique de Dieu ne peut pas
haïr, il doit aimer. Le peuple prophétique, comme dit l’Évangile d’aujourd’hui,
recherche celui qui est dans l’erreur pour le gagner au Seigneur, et le
prophète qui parle du châtiment de la sentinelle négligente, fait aussi l’éloge
de Dieu qui appelle Ă la conversion.
C’est pourquoi, très chers frères,
surtout vous, mes frères qui me haïssez, vous qui croyez que je prêche la
violence et qui me calomniez en sachant que cela est faux, vous qui avez les
mains tachées de crimes, de tortures, d’outrages et d’injustices,
convertissez-vous, je vous aime beaucoup, cela me fait de la peine parce que
vous marchez sur des chemins de perdition. 10/09/78, p.176, V.
2) L’Église, une communauté
sacramentelle
Toute cette mission de l’Église, entre
les intérêts de la Terre – nous le disions dans notre Lettre pastorale –, n’est
pas pour se perdre parmi les choses de la Terre, parce qu’alors, dit le Pape,
l’Église perdrait toute sa force. L’Église n’annoncerait pas la véritable
libération de Dieu, en comprenant les revendications des pauvres qui réclament
du pain, des analphabètes qui demandent l’accès à l’éducation, des pauvres dans
la misère, l’Église deviendrait elle aussi une misérable, mais sans donner
l’espérance du pardon et de la
Rédemption. C’est précisément pour cela que l’Église porte
une mission transcendante, elle ne doit jamais oublier sa vision de Dieu et
c’est là que se trouve le signe de la communauté. Soyez
donc des communautés qui luttent pour de justes revendications sans jamais
oublier l’unique chose qui puisse nous donner la force et l’inspiration qui est
Dieu.
L’Évangile de ce matin nous donne la règle. Que dit le
Christ lui-même? Chaque fois que deux ou trois seront réunis en mon nom, là Je
serai présent au milieu d’eux. Grâce à Dieu parce que là où il y a une
communauté qui se met à réfléchir à ta Parole, avec une sincérité religieuse,
là Tu te fais présent, Christ béni, Libérateur des hommes. Comment ne me
remplirai-je pas le cœur d’allégresse à la vision d’une Église où fleurissent
les communautés ecclésiales de base? Et je vais demander à mes prêtres qu’ils
fassent fleurir partout des communautés : dans les quartiers
périphériques, dans les communes rurales, dans les familles. Parce que là où
deux ou trois s’assemblent, là se trouve mon signe sacramentel. Ici, ce matin,
en cette cathédrale se trouve cette présence du Christ. Le protagoniste de ce
matin est le Christ Notre Seigneur. Il nous donne son témoignage, non pas
uniquement dans l’hostie consacrée, mais aussi vous tous et moi qui formons une
communauté, et là où un groupe de chrétiens se réunit autour d’un appareil
radio, qui médite cette Parole, comme Parole de Dieu, là se trouve le Christ,
ici est le Christ. BĂ©ni soit Dieu! Nous ne marchons pas seuls.
C’est pourquoi la communauté
ecclésiale est sacramentelle. Qu’est-ce qu’un sacrement? C’est un signe visible
d’une réalité invisible. Le visible ce sont vos visages, le salut affectueux
que nous nous donnons à la sortie, tout cela c’est la communauté visible. Mais
l’invisible, le visage que nous ne voyons pas, mais dans lequel nous croyons et
que nous découvrons dans le visage de chacun de nous : le Christ Notre
Seigneur. Il existe une autre réalité dans cette communauté sacramentelle,
lorsque le Christ dit : « Quand deux de vous se mettront d’accord
pour demander quelque chose à mon Père, mon Père qui est au ciel vous
l’accordera. » Quelle chose plus belle qu’une communauté, signe de la
volonté de Dieu, parce que Dieu seul concède ce qu’on lui demande, selon sa volonté.
Et la volonté de Dieu, lorsqu’on y réfléchit en communauté, est distincte de ce
que plusieurs désiraient qu’elle soit. Certains voudraient que le pauvre dise
toujours que c’est la volonté de Dieu qu’il vive ainsi, mais ce n’est pas sa
volonté que certains aient tout et que d’autres n’aient rien. Cela ne peut être
sa volonté. La volonté de Dieu est que tous ses fils et ses filles soient
heureux. Lorsque deux ou trois se mettent d’accord pour demander à Dieu, Dieu
leur concède. C’est la communauté de l’amour. La volonté qui s’unifie en Dieu.
Qu’il est merveilleux de savoir que ce matin, notre prière, notre messe seront
aussi entendues de Dieu parce que nous sommes plus de deux. La cathédrale est
pleine pour demander au Père uni au Christ, ce dont notre société a besoin.
Faisons de notre messe dominicale une heure d’espérance.
En troisième lieu, la présence d’un
Dieu que l’on accepte ou que l’on rejette. Si après avoir appelé à l’ordre le
pécheur, toi seul ou avec des témoins, et qu’il n’en tienne pas compte, dis-le
à la communauté, et si la communauté ne parvient pas à lui faire changer
d’attitudes, qu’il soit considéré comme excommunié, comme séparé. C’est ici que
prend son sens cette parole à Pierre : « Tout ce que tu lieras sur
Terre, demeurera lier au Ciel. » Retenez bien ceci, qui est une des
prérogatives du Pape, mais qui ne lui est pas exclusive. Dieu l’a donné à tout
le Peuple de Dieu, mais le Pape est l’expression maximum de ce privilège. À
Pierre il lui dit en un sens exclusif : « Ce que tu lieras sur Terre
le demeurera dans le Ciel. » Et maintenant, Il dit à la communauté :
ce que vous et votre pasteur considérez comme une erreur, cette erreur,
l’infaillibilité, le jugement sera prononcé par le Pape. Mais c’est tout le
Peuple de Dieu également qui jouit de cette prérogative lorsqu’il est en
communion – communauté – avec ses pasteurs. Nous devons tenir bien compte de
cela pour savoir qu’en chaque diocèse, l’Évêque, en communion avec le Pape, est
le signe de l’unité, de la vérité. 10/09/78, p.180-181, V.
3) L’Église, une communauté d’amour
Et finalement, chers frères,
j’aimerais vous dire un petit mot sur la seconde lecture d’aujourd’hui (Rm
13,8-10), pour dire que la communauté qu’est l’Église est une communauté
d’amour. Lorsque le Concile dit joliment en parlant du Peuple de Dieu :
« Les caractéristiques de ce Peuple sont qu’il a pour tête le Christ
Rédempteur, comme condition la dignité et la liberté des enfants de Dieu. Il a
pour loi le commandement nouveau de l’amour comme le Christ lui-même nous aima.
Il a comme fin la dilatation toujours plus grande du Règne de Dieu sur la
Terre. » On ne pourrait pas le dire avec de plus belles paroles,
l’identité de notre Église se caractérise par l’amour. Nous dirions comme la
constitution qui doit être respectée au Salvador, parce que c’est l’âme de la nationalité. La
Constitution des chrétiens tient en un seul mot :
l’amour.
C’est pourquoi dit saint Paul, celui
qui agit avec amour, accomplit toute la loi, parce qu’il ne volera pas, qu’il
ne tuera pas et qu’il ne fera pas de mal aux autres. Tout cela est compris dans
une seule parole : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »
Si nous vivions l’amour envers notre prochain, le terrorisme n’existerait pas,
ni la répression, ni l’égoïsme, ni les inégalités si cruelles de la société, ni
les séquestrations, ni les crimes. L’amour est la synthèse de la loi. Non seulement sa
synthèse, il est ce qui donne un sens chrétien à toutes les relations humaines.
C’est pourquoi même ceux qui se nomment athées, lorsqu’ils sont humains,
accomplissent l’essence de la relation que Dieu veut entre les hommes :
l’amour. L’amour remplit tous les devoirs humains. Sans l’amour la justice
n’est rien d’autre qu’une épée. Mais avec amour, la justice elle-même devient
une accolade de frères. Sans amour les lois sont difficiles, répressives,
cruelles, policières. Mais s’il y avait de l’amour, les corps de sécurité
deviendraient superflus, les tortures n’existeraient plus, ni les prisons, il
n’y aurait plus d’entrain pour frapper. Très chers frères, c’est cela l’Église.
C’est pourquoi cette communauté
prophétique, cette communauté sacramentelle, cette communauté d’amour est celle
que nous devons construire. C’est là l’essentiel de ma prédication.
Mais cela demeurerait une prédication
théorique, si nous ne tentions pas d’envisager à partir de notre intériorité
d’Église, notre extériorité : la réalité où doit se développer notre
mission afin de voir si nous réalisons vraiment notre Église prophétique, notre
Église sacramentelle, notre Église d’amour. 10/09/78, p.181-182 V.