Sentir avec l’Église
Dix-huitième dimanche du temps
ordinaire; 31 juillet 1977; Lectures : Ecclésiaste 1,2)2,21-23;
Corinthiens 3,1-5.9-11; Luc 12,13-21)
La Parole de Dieu de ce dimanche nous
invite à voir les choses dans leur véritable perspective. C’est le message que
je voudrais souligner ce matin, le message de la transcendance. La
transcendance est une parole qui signifie la perspective Ă©ternelle, divine.
C’est uniquement lorsque l’on regarde le monde, les choses qu’il renferme et
les richesses de la Terre Ă partir de la perspective de Dieu qui en est
l’origine que tout cela prend un sens. Lorsque nous observons les biens, les
richesses de la Terre sans tenir compte de Dieu, tout cela est vain. Ainsi le
décrit le Concile dans une phrase lapidaire de la Constitution de l’Église dans
le monde de ce temps : « La créature se dissipe sans son
Créateur. » Je vais vous lire tout ce paragraphe du Concile qui m’apparaît
être le meilleur commentaire des lectures d’aujourd’hui (Qo 1,2;2,21-23; Co
3,1-5.9-11; Lc 12,13-21). 31/07/77, p.148, I-II.
La créature se dissipe sans son
Créateur
Si par autonomie de la réalité
terrestre, on veut dire que les choses créées et la société elle-même jouissent
de lois et de valeurs propres que l’humain doit découvrir, employer et ordonner
peu à peu, cela est absolument légitime. N’est-ce pas cela que les hommes de
notre temps réclament impérieusement? C’est que cela répond, en plus, à la
volonté du Créateur. Puisque par la nature même de la création, toute chose est
dotée de consistance, de vérités et de bontés qui lui sont propres ainsi que
d’un ordre réglé, que l’humain doit respecter dans la connaissance de la
méthodologie particulière à chacune des arts et des sciences. C’est pourquoi
l’investigation méthodique dans tous les champs du savoir, réalisée d’une
manière authentiquement scientifique et conforme aux normes morales, ne sera
jamais contraire à la foi, car les réalités profanes et les réalités de la foi
possèdent leur origine en un même Dieu. Plus encore, celui qui avec
persévérance et humilité s’efforce de pénétrer les secrets de la réalité est
porté, sans le savoir, par la main de Dieu qui soutient toutes choses en leur
permettant d’être. Nous déplorons à ce sujet certaines attitudes qui, pour ne
pas avoir bien compris le sens de l’autonomie légitime de la science, se sont
produites Ă plusieurs reprises chez les chrĂ©tiens et qui ont contribuĂ© Ă
Ă©tablir une opposition entre la science et la foi.
Mais si par autonomie du temporel on
veut dire que la réalité créée est indépendante de Dieu et que les humains
peuvent en user sans référence au Créateur, le mensonge enveloppé dans de
telles paroles ne trompera aucun croyant. La créature sans le Créateur
disparaît. En plus de cela, combien de gens croient en Dieu, peu importe leur
religion? Ils entendirent toujours la manifestation de la voix de Dieu dans le
langage de la création. Plus encore, en oubliant Dieu, la propre créature
apparaît obscurcie. 31/07/77, p.148-149, I-II.
Lorsque l’Ancien Testament nous dit
(Qo 1,2) : « Vanité, tout n’est que vanité! » Cela est une
perspective de la création qui fait abstraction du Créateur. Tout est vain en
vérité. Les choses n’ont pas de sens en soi. Seulement cette autonomie dont
nous a parlée le Concile, c’est-à -dire que les choses possèdent leur être, leur
beauté, leur propre valeur grâce à Dieu. En ce sens, les choses qu’on regarde
avec cette transcendance, avec cette orientation, cette perspective Ă©ternelle,
retrouvent toute leur beauté. Donc, elles ne sont plus vaines, possédant leur
propre beauté intrinsèque, en tenant compte que tout provient de Dieu.
C’est en ce sens également qu’il nous
faut analyser l’Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ de ce dimanche (Lc
12,13-21). À cet homme qui lui demande sa collaboration afin que son frère
partage avec lui son héritage, Jésus répond qu’Il n’est pas juge des problèmes
temporels. Il lui signifie par là de regarder vers l’origine des choses qui ne
sont pas elles-mêmes la source de la félicité, que ce n’est pas par l’avoir que
les humains seront heureux, mais en regardant vers Dieu et vers sa volontĂ© Ă
l’endroit de toutes ces choses. Le Christ leur dit (Lc 12,15) :
« Attention! Gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même de
l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens. »
Le Christ fait ici une admonestation envers
les biens terrestres. L’Église comme le Christ n’est pas dans le monde pour
être juge ou arbitre des biens temporels. La mission de l’Église, a dit
clairement le Concile, n’est pas de caractère social, politique ou économique,
c’est une mission religieuse. La mission de l’Église est de donner aux choses,
Ă la politique, aux biens de la Terre, leur dimension religieuse, leur
transcendance. C'est pourquoi l’Église sent comme plus intimement les biens
terrestres parce qu’elle les sait unis à la volonté de son Créateur. Elle doit
dénoncer lorsque ces biens terrestres créés sont subordonnés au péché par les
humains.
Ce n’est pas ainsi que Dieu désire
que nous utilisions les biens de la Terre. Ce n’est pas la cupidité qui est la
loi des choses terrestres. Ce n’est pas l’égoïsme, les biens ne doivent pas
servir qu’à rendre heureuse une minorité. La volonté de Dieu qui a créé les
choses pour le bonheur et pour le bien de tous exige de nous, à l’intérieur de
l’Église, de donner aux choses leur transcendance, leur sens selon la volonté
divine.
Ce qui se produit lorsque l’être
humain perd cette vision de la transcendance est merveilleusement décrit par
l’Évangile d’aujourd’hui. Ce riche dont le bonheur consistait à regarder
l’abondance de sa récolte, à remplir ses greniers et qui croyait avoir une
belle vie en profitant de ses biens avait oublié la mort, il avait oublié Dieu.
C’est pourquoi l’Évangile nous dit (Lc 12,20) : « Insensé, cette nuit
même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l’aura? »
C’est la vanité dont nous parle la
première lecture, avoir tant travaillé pour ses acquisitions et devoir tout
laisser. Les biens matériels ne s’emportent pas, seul demeure l’utilisation de
ces biens selon la volonté de Dieu. Seules les attitudes intérieures de l’homme
l’accompagneront jusqu’au jugement éternel : avoir usé des biens de la
Terre sans perdre la perspective de la transcendance, être demeuré uni à Dieu.
C’est cela, la mission de l’Église
dans le monde actuel : réclamer aux humains de regarder avec transcendance
toutes leurs attitudes, tous leurs biens; la politique, l’économie, le social,
tout ce que contient la Terre; les devoirs temporels, les droits de l’homme,
l’Église a beaucoup à voir avec tout cela, mais là n’est pas la fin de sa
mission. Parce que sa mission doit ĂŞtre, exactement, de leur donner un sens
transcendant, d’orienter vers Dieu les cœurs des hommes. Et, à partir de ces
cœurs convertis à Dieu, créer un monde meilleur, un monde plus conforme à la
volonté de Dieu où nous nous sentirons tous frères et fils d’un même Créateur.
La vie et les biens que la vie nous
donne ne possèdent pas de sens en soi. Ils sont vanités, ils se dissipent, se
diluent tant que nous ne les regardons pas dans leur origine qui est Dieu qui
donne aux choses leur beauté et leur consistance. Et, s’il en est ainsi, nous
devons user des biens de ce monde en ayant les yeux rivés sur Dieu pour
connaître sa volonté sur ce que nous usons. N’oublions pas Dieu, n’oublions pas
qu’un jour nous devrons rendre compte de notre attitude vis-à -vis des biens de
ce monde et que nous recevrons alors une réponse de Dieu qui sera une
récompense ou une punition. Que l’on use donc des biens de ce monde selon la
volonté de Dieu et non d’une autre manière.
Pour accomplir ce devoir, l’Église
souffre la persécution, l’incompréhension. Mais l’Église ne peut parler
autrement, elle doit inquiéter les hommes qui veulent dormir sur leurs biens,
sur leurs triomphes, sur leurs pouvoirs. L’Église se doit de dire, comme le
Christ dans l’Évangile d’aujourd’hui : « Insensés, vous ne savez donc
pas que vous devrez rendre compte à Dieu pour ces choses? Vous avez oublié que
les choses ont leur raison d’être, leur existence, leur consistance, leur
valeur, leur beauté, seulement parce que Dieu leur donne ces capacités!»
31/07/77, p.148-151, I-II.