Homélie de la Noël du Seigneur

 

24 décembre 1979.

 

Je vous félicite non seulement parce que c’est Noël mais parce que vous êtes courageux. Tandis que plusieurs ont peur et ferment leur porte, de même, de nombreuses églises se sont laissé vaincre par la psychose. La cathédrale ouverte est l’image d’une confiance et d’une espérance dans le Rédempteur qui naît.

 

Vous êtes en cette nuit, l’exemple vivant de ce que doit être Noël. Au milieu du monde et nonobstant les dangers, les vicissitudes, les psychoses, les peurs, il y a l’espérance, il y a de la joie. Il ne s’agit pas ici simplement de feindre avec un courage sans raison et insensé, mais, il y a là, la profondeur d’une réalité qui demeure au cœur de l’Église et qui doit être le moteur puissant de la vie de tous chrétiens.

 

Je pense que dans l’Évangile de ce soir, il y a trois idées qui doivent être notre message de cette année, ici, au Salvador.

 

Plan de l’homĂ©lie :

 

1) L’Ange dit aux bergers (Lc 2,11) : « Je vous annonce une grande joie : aujourd’hui vous est nĂ© un Sauveur. Â» (Cette pensĂ©e signifie : Aujourd’hui a Ă©tĂ© introduit dans l’Histoire un principe de nouveautĂ©, de rĂ©novation, de nouvelle toujours Ă©ternelle.)

2) L’Ange dit aux bergers (Lc 2,12) : « Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-nĂ© enveloppĂ© dans des langes et couchĂ© dans une crèche. Â» (Ici nous rencontrons l’image d’un Dieu qui se revĂŞtit de la misère humaine et donne ainsi un sens divin Ă  la souffrance et Ă  la douleur.)

3) La multitude des anges qui descend en chantant (Lc 2,14) : « Gloire Ă  Dieu au plus haut des cieux. Â» (C’est l’invitation que le Christ vient nous faire : Ă  savoir que l’être humain possède une destinĂ©e unie Ă  la gloire de Dieu et que pour cela, sa vie doit ĂŞtre optimiste et qu’il ne doit jamais faiblir.).

 

1) L’Ange dit aux bergers (Lc 2,11) : « Je vous annonce une grande joie : aujourd’hui vous est nĂ© un Sauveur. Â»

 

En premier lieu, je dis : la naissance du Christ suppose de la part de Dieu un germe de nouveautĂ© dans la vie et dans l’Histoire. Depuis que le Christ est nĂ©, l’Histoire qui vieillissait, se renouvelle. Cela est semblable au moment oĂą un agriculteur sème du nouveau.

 

Ainsi l’avaient annoncé les prophètes

 

Cette mĂŞme nuit nous avons entendu le prophète IsaĂŻe qui parlait du dĂ©sert qui fleurit : « Et celle qu’on appelait « AbandonnĂ©e Â» s’appellera dorĂ©navant « PrivilĂ©giĂ©e! » Et tous ceux qui semblaient mourir de tristesse, aujourd’hui sont dans l’allĂ©gresse!

 

Raison de notre allégresse de Noël

 

Si nous cherchons une explication profonde Ă  l’allĂ©gresse de NoĂ«l que plusieurs vivent et dont la majoritĂ© ne comprend pas, en voici la raison : « dans le monde a Ă©tĂ© posĂ© quelque chose de nouveau. Â» La NoĂ«l est toujours nouvelle, c’est toujours une Nouvelle. Toutes les nuits de NoĂ«l, mĂŞme si vingt siècles ont dĂ©jĂ  passĂ©, l’ange continue d’annoncer qu’il s’agit de la grande Nouvelle : « Je vous annonce une grande Nouvelle. Â» Le monde se renouvelle par ce germe qui a Ă©tĂ© injectĂ© dans l’Histoire.

 

Comme je voudrais, très chers frères chrĂ©tiens, que nous assimilions cette Nouvelle et que nous en faisions notre quotidien. Qu’autour de nous, par notre tĂ©moignage, notre confiance et notre sĂ©curitĂ©, nous inspirions la confiance de l’ange qui dit : « Je vous annonce une grande Nouvelle! Â» MĂŞme s’il advient toutes sortes de catastrophes qui engendrent le pessimisme, la tristesse, la psychose et la peur, la rĂ©novation est lĂ . Dieu est venu et l’Esprit de Dieu rend neuves toutes choses. Combien de changements se sont-ils produits dans l’Histoire depuis que le Christ est venu. Et sans cesse ce Règne de Dieu, que le Christ apporta au monde, inspire les nouvelles Ă©poques. Nous n’avons pas le temps ici de faire un dĂ©compte de tous les changements profonds dans l’Histoire qui ont Ă©tĂ© inspirĂ©s par ce qu’il y a de plus pur et de plus saint qui se conserve dans l’Église de JĂ©sus-Christ.

 

Aujourd’hui nous assistons aussi, au Salvador, à une heure de rénovation.

 

Rénovation qui se compare avec les douleurs de l’accouchement.

Le pays est en train de passer Ă  un autre âge et c’est pour cela qu’il y a des douleurs et de l’angoisse, qu’il y a du sang et des souffrances. « Mais comme dans l’accouchement, dit le Christ, la femme qui arrive Ă  son heure souffre, mais quand le nouvel homme est nĂ©, elle a dĂ©jĂ  oubliĂ© toutes ses douleurs. Â»

 

Ces souffrances passeront! La joie qui demeurera sera qu’en cette heure d’accouchement nous aurons Ă©tĂ© chrĂ©tiens, nous aurons vĂ©cu dans la foi en JĂ©sus-Christ, et nous n’aurons pas succombĂ© au pessimisme. Comme j’aimerais pouvoir crier, cette nuit, au-dessus de toutes les campagnes du Salvador : Ne craignez rien, un Sauveur nous est nĂ©! Ce qui apparaĂ®t maintenant insoluble, sans-issue, Dieu l’a dĂ©jĂ  marquĂ© de son espĂ©rance. Cette nuit est pour vivre l’optimisme. Nous ne savons pas comment, mais Dieu mettra Ă  flot notre patrie. Dans la nouvelle heure, demeurera toujours prĂ©sente la grande Nouvelle du Christ qui rend nouvelles toutes les choses. Et lorsque vieillissent les Ă©poques, les âges, toujours demeure la grande Nouvelle, la grande rĂ©novation de l’Esprit du Christ qui a Ă©tĂ© injectĂ©e pour toujours, depuis cette Nuit que nous commĂ©morons aujourd’hui. 24/12/79, p.82-83, VIII.

 

2) L’Ange dit aux bergers (Lc 2,12) : « Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-nĂ© enveloppĂ© dans des langes et couchĂ© dans une crèche. Â»

 

Message de JĂ©sus

 

L’Évangile nous annonce le Christ enveloppĂ© dans des langes et couchĂ© dans une crèche. Et quand Jean Baptiste envoie demander au RĂ©dempteur (Lc 7,20) : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre? » Christ lui rĂ©pond (Lc 7,22) : « Allez rapporter Ă  Jean ce que vous avez vu et entendu : « Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lĂ©preux sont purifiĂ©s, les sourds entendent et les morts ressuscitent. La Bonne Nouvelle est annoncĂ©e aux pauvres. Et heureux celui qui ne trĂ©buchera pas Ă  cause de moi! Â»

 

C’est cela, le message de JĂ©sus, enveloppĂ© dans des langes et couchĂ© dans une crèche, pauvre comme le plus pauvre des pauvres. Je crois que ni le plus pauvre n’est nĂ© dans une grotte, sur de la paille parce qu’il n’eut mĂŞme pas pour Lui, un lit oĂą sa pauvre mère put Lui donner naissance. Le Christ est le plus pauvre, enveloppĂ© dans des langes. Il est l’image d’un Dieu qui s’anĂ©antit. Ce que la thĂ©ologie appelle la KĂ©nose : le Dieu qui se vide de toute sa gloire pour apparaĂ®tre esclave et se laisser crucifier et ensevelir comme un malfaiteur.

 

Cette humiliation de Dieu possède une grande signification

 

Cette nuit, ne recherchons pas le Christ parmi les opulences de ce monde, parmi les idolâtries de la richesse, parmi les soifs du pouvoir, les intrigues des grands. LĂ  n’est pas Dieu. Recherchons Dieu avec le signe des anges : couchĂ© dans une crèche, enveloppĂ© dans de pauvres langes que put lui fabriquer une humble paysanne de Nazareth. De pauvres langes et un peu de paille comme repos du Dieu qui s’est fait homme, du Roi des siècles qui s’est rendu accessible aux humains comme un petit enfant pauvre.

 

En cette heure nous observons l’Enfant Jésus, non pas dans les belles images de nos crèches, mais parmi les enfants mal nourris qui sont allés dormir cette nuit sans avoir mangé. Parmi les pauvres petits vendeurs de journaux qui dormirent enveloppés de papiers, là sur les portails. Chez le pauvre cireur de chaussures qui a peut être gagné le nécessaire pour apporter un petit présent à sa mère, ou encore, du petit vendeur qui n’a pas réussi à vendre suffisamment et qui recevra une correction de son beau-père. Comme est triste l’histoire de nos enfants! C’est tout cela que Jésus assume en cette Nuit. Ou encore, le jeune paysan, ouvrier, celui qui n’a pas de travail, celui qui souffre d’une maladie en cette Nuit. Non, tout n’est pas réjouissance. Il y a beaucoup de souffrances. Il existe de nombreux foyers détruits. Il y a beaucoup de douleur et de pauvreté.

 

Frères, nous ne regardons pas cela avec dĂ©magogie. Le Dieu des pauvres a assumĂ© tout ceci et Il enseigne la valeur rĂ©demptrice de la douleur humaine, la valeur rĂ©demptrice de la pauvretĂ©, de la souffrance, de la croix. Il n’y a pas de RĂ©demption sans croix. Mais cela ne signifie pas que nos pauvres doivent demeurer passifs, eux que nous avons mal endoctrinĂ©s lorsque nous leur disions : « C’est la volontĂ© de Dieu que tu sois pauvre, marginalisĂ© et que tu sois sans espĂ©rance. Â» Cela non! Dieu ne veut pas cette injustice sociale, mais, une fois qu’elle existe, elle constitue un terrible pĂ©chĂ© des oppresseurs. Et la violence la plus grande est celle de ceux qui privent du bonheur tant d’êtres humains et qui tuent de faim tous ces affamĂ©s. Dieu rĂ©clame justice mais Il dit au pauvre comme le Christ Ă  l’opprimĂ© : « C’est en portant ta croix que tu sauveras le monde, si tu donnes Ă  ta douleur non pas un sens de conformisme que Dieu refuse, mais plutĂ´t une inquiĂ©tude de Salut. Tu le sauveras si tu meurs dans ta pauvretĂ© en soupirant après des jours meilleurs, en faisant de ta vie une prière et en t’associant Ă  tous ceux qui tâchent de libĂ©rer le peuple de cette situation.

 

Le Pape le rappela au Mexique lorsqu’il dit que la dĂ©votion Ă  Marie n’est pas une dĂ©votion de faibles. Marie, qui sut supporter la fuite et l’exil, la marginalisation, la pauvretĂ©, l’oppression. Marie, la fille d’un peuple dominĂ© par l’Empire Romain, qui voit mourir injustement sur la croix son Fils prisonnier et torturĂ© et qui elle Ă©leva son cri de sainte rĂ©bellion pour dire Ă  Dieu (Cf. Lc 1,52-53) : Â« de renvoyer les superbes et les orgueilleux les mains vides, de renverser les potentats de leurs trĂ´nes et en Ă©change, de donner sa grâce aux humbles, Ă  ceux qui se fient dans la misĂ©ricorde du Seigneur. Â»

 

C’est Lui le Christ naissant, qui enseigne aux pays pauvres, aux doux, en ces nuits froides de la cueillette de café ou chaudes de la récolte du coton, que tout cela a un sens. Ne perdons pas le sens de la souffrance.

 

Très chers frères, si une chose m’attriste en ce moment oĂą le Salvador se rachète, c’est de penser qu’il existe de nombreux faux rĂ©dempteurs qui font perdre cette force de RĂ©demption que possède notre peuple en sa souffrance, et qui convertissent en dĂ©magogie son exclusion, sa faim. Il n’est pas nĂ©cessaire de les remplir de dĂ©sespoir ou de ressentiment, mais d’espĂ©rance en la justice de Dieu avec la certitude que cela doit changer, mĂŞme s’il faut mourir comme sont dĂ©jĂ  morts plusieurs mais avec l’espĂ©rance d’une foi chrĂ©tienne.

 

Comme je voudrais que notre Noël parle de cet Enfant sur la paille parmi ses langes, de la valeur sublime de la pauvreté. Comme je voudrais que nous-mêmes, qui faisons cette réflexion, nous sachions donner à nos petites ou grandes souffrances une valeur divine. Qu’à partir de cette nuit nous intensifions notre intention d’offrir à Dieu ce que nous souffrons pour que ça se convertisse avec le sacrifice de l’autel dans l’hostie qui rachète et sanctifie notre vie, notre foyer et notre société.

 

S’il n’y avait pas tant de démagogie et s’il existait plus de sainteté chez les pauvres, notre patrie verrait rapidement le Salut. Si nous savions recueillir aujourd’hui le message de l’enfant pauvre, de l’enfant humble, de celui qui s’humilia pour sauver le monde…!

Comme les Salvadoriens, cette nuit, apparaissent semblables à Jésus à Bethléem, alors que nous avons une société qui peut se présenter avec la pauvreté complète de Marie, de Joseph et de Jésus à Bethléem! 24/12/79, p.83-85, VIII.

 

3) La multitude des anges qui descend en chantant (Lc 2,14) :

« Gloire Ă  Dieu au plus haut des cieux. Â»

 

C’est l’appel de l’objectif éternel de notre vie

 

Donnons aux choses de la Terre leur valeur relative. Ne faisons pas un absolu de la richesse, ni de la lutte, ni du parti, ni de l’organisation. Rien ne possède de valeur absolue sur cette Terre. Tout est relatif face à l’unique Absolu, face à Celui qui emportera la gloire de tous les hommes vers Dieu. Loin de nous tout orgueil, toute arrogance. Loin de nous de vouloir diviniser quelque chose ou quelqu’un sur cette Terre.

 

L’Enfant de Bethléem, chanté par les anges, nous dit qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’on ne peut servir en même temps Dieu et les idoles de la Terre. Marchons sur la Terre en faisant toujours de notre vie, de nos efforts, de notre travail, ce que fit le Christ.

 

Quand le Christ fit ses adieux Ă  ce monde le jour de l’Ascension, Il dit Ă  ses apĂ´tres : « Je viens du Père et maintenant Je retourne vers Lui. Â» C’est cela, le circuit qu’il nous faut parcourir : je viens de Dieu et je travaille en ce monde avec une vocation que Dieu m’a donnĂ©e en me faisant naĂ®tre sur cette Terre, Ă  cette Ă©poque, en ce pays, et en cette situation. Accomplir ce parcours pour pouvoir, rendu au jour de ma mort, dire : « Maintenant je retourne vers le Père. Â»

- Avoir toujours vécu en nous souvenant de notre origine en Dieu et ne jamais perdre de vue notre destinée qui est dans la gloire du Très-Haut.

 

Avoir toujours vĂ©cu en dirigeant notre vie comme le Christ conduisit la sienne : « J’ai un plan qui est de faire la volontĂ© de mon Père. Â» Prière que le Christ nous enseigna pour toutes les circonstances de notre vie. « Que ta volontĂ© soit faite sur la Terre comme au Ciel. Â» Il ne fait pas autre chose que la volontĂ© du Père. Et bienheureux l’homme qui sait interprĂ©ter tous les moments de sa vie avec la volontĂ© du Père. Ceux-lĂ  sont les hĂ©ros, les saints, les immortels; ce sont les bienheureux, ceux qui savent recueillir le message de ce NoĂ«l en ordonnant leur vie Ă  la gloire du Dieu unique et en chantant : « Gloire Ă  Dieu au plus haut des cieux! » Jusque lĂ  s’élève ma vie lorsque je donne ce sens Ă  mes actions, aussi humbles qu’elles soient.

 

Chers frères, ce sont lĂ  les trois pensĂ©es que je voulais vous rappeler pour qu’en cette nuit de NoĂ«l, non seulement nous les vivions mais pour que nous dĂ©couvrions le secret de la joie : L’Enfant qui apporta le renouveau Ă  l’Histoire, Ă  notre vie, au Salvador, Ă  tout ce qui est vie et nature. L’Enfant qui naquit dans une crèche, qu’on enveloppa dans des langes pour donner un sens Ă  la pauvretĂ©, Ă  la douleur, Ă  la souffrance. L’Enfant dont le berceau rappelle Ă  tous les hommes notre destinĂ©e commune, la gloire de Dieu au plus haut des cieux. 24/12/79, p.85-86, VIII.