Ordination sacerdotale de Jaimes Paredes Osorio dans la Basilique du Sacré-Cœur

 

1er mars 1980.

 

Pour comprendre la profondeur de ce moment, il serait nécessaire de remonter jusqu’à ce matin où le Christ après une nuit de prières, choisit les premiers prêtres du christianisme. Et plus encore, il serait nécessaire de remonter jusqu’aux profondeurs éternelles de Dieu, que le Christ pénétra un jour lorsque ses ennemis l’attaquèrent comme un démoniaque, comme un révolté et qu’Il dit que le Père L’avait élu et envoyé au monde. En ces deux mots se trouve l’essence de notre sacerdoce. Choisis pour être envoyés.

 

Dans cette éternité de Dieu, d’où jaillit l’acte de créer une humanité, surgit l’idée d’un peuple sacerdotal. Que ces hommes et ces femmes qui peupleraient le monde, s’élèveraient en prière à Dieu et qu’ils seraient les missionnaires de son Amour parmi l’humanité entière. C’est de là que vinrent les premiers croyants tout de suite après l’Incarnation du Christ. C’est le Peuple de Dieu, peuple sacerdotal auquel nous appartenons par notre baptême.

 

C’est l’acte premier dans le plan de Dieu : un Peuple sacerdotal qui se nomme l’Église et qui porte une mission sublime Ă  accomplir, une mission cultuelle et une mission salvatrice. Cultuelle, ou encore, une humanitĂ© qui s’élève en culte, en reconnaissance jusqu’au CrĂ©ateur, en action de grâce, en supplique, en reconnaissance de la MajestĂ© infinie. Le culte est un acte nĂ©cessaire Ă  toute crĂ©ature qui a un cĹ“ur, une intelligence et une volontĂ©. Mais Dieu ne veut pas que le culte. Il veut que ce peuple qui s’élève vers Lui en culte et en prière, soit aussi un peuple missionnaire, un peuple qui rĂ©alise la RĂ©demption. Un peuple qui va sauver ce monde qui s’enfonce dans le pĂ©chĂ©. C’est cela, la mission sacerdotale de l’Église. C’est pourquoi lorsque le Christ s’incarne, l’incarnation ne s’achève pas dans cet acte miraculeux qui se produisit dans les entrailles de Marie, mais elle se prolongera tout au long de l’Histoire. Tout homme et toute femme qui croient en ce Christ, s’incorporent Ă  Lui par le baptĂŞme et le Christ continue de s’incarner en eux pour constituer ce peuple qui rend un culte Ă  Dieu qui apporte le Salut de Dieu au monde entier. C’est de lĂ  que surgit un besoin. Ce peuple a besoin d’autres hommes qui conservent ce Fils sacerdotal du Peuple de Dieu. C’est lĂ  qu’apparaĂ®t le sacerdoce ministĂ©riel.

 

Des hommes, tirés du peuple, pour s’occuper des choses de Dieu, pour s’occuper de donner au peuple le sens cultuel et le sens rédempteur, des hommes qui continuent d’être comme le Christ qui s’incarne pour continuer de projeter son Incarnation dans les peuples, dans les familles, dans les divers domaines et secteurs, peu importe où l’humanité en a besoin. Des hommes qui comprennent le besoin de se sauver et de s’élever jusqu’à Dieu. C’est ainsi donc, que surgit le sacerdoce ministériel. Il a besoin pour cela d’hommes qui ont été choisis dès le sein maternel. Il les fit déjà, dit saint Paul, aptes pour ce ministère; ils sont nés pour le dessein de Dieu. Des hommes qui vont se dédier au culte et à la Parole de Dieu, à l’appel du Salut des hommes. Mais pour alimenter ce peuple, notre raison d’être, de nous immoler, ne provient pas de nous-mêmes. Le sacerdoce doit être gardé, mais non pas comme notre propre concession; c’est un don de Dieu pour le peuple. La mission que le Christ confia à son Église n’était pas pour qu’elle se remplisse de complaisance en elle-même, pour qu’elle se conserve uniquement pure, sans tache, sans ride. Il s’agit d’une mission qui doit être menée à son terme.

 

La raison d’être de l’Église est la mĂŞme que celle du Christ : Il m’a oint, Il m’a choisi, Il m’a façonnĂ© pour aller, pour ĂŞtre envoyĂ©. Dans quelques instants, très cher Jaime, nous allons avoir l’honneur et le plaisir, Ă©vĂŞque et prĂŞtres, tes frères d’une famille nouvelle, de t’imposer nos mains comme quelqu’un qui dĂ©pose un trĂ©sor, un hĂ©ritage sous ta responsabilitĂ©, sur ta conscience. Je vais aussi avoir l’immense honneur d’utiliser le chrĂŞme, le signe de l’onction qui a oint le Christ pour le faire saint, très saint. Je vais oindre tes mains avec ce chrĂŞme sacrĂ© qui fera de toi un prĂŞtre pour l’éternitĂ© entière.

 

Je vais m’écarter, je ne suis pas celui qui le fait. Je ne suis que l’humble instrument du Dieu tout-puissant qui a oint le Christ dans l’éternitĂ© et qui aujourd’hui va t’oindre toi aussi. Il va t’élire et te sĂ©lectionner du monde pour que tu sois un homme consacrĂ© dĂ©finitivement, non pour un temps mais pour toujours, profondĂ©ment, non seulement en certaines couches de ton humilitĂ©, mais dans tout ton ĂŞtre. Tu vas ĂŞtre un homme oint comme l’humanitĂ© du Christ, ointe, pĂ©nĂ©trĂ©e par l’Esprit de Dieu. Tu ne t’appartiendras plus Ă  toi-mĂŞme, ni Ă  ta famille, ni d’une certaine façon Ă  l’humanitĂ© parce que Dieu t’a Ă©lu et t’as fait sien. Tu reçois aujourd’hui la capacitĂ© de porter la bĂ©nĂ©diction de Dieu, la Parole de Dieu. Tu dois Lui devenir intime, consacrĂ© et comme disait le Christ : « Tu m’as choisi, Tu m’as oint, Tu m’as sanctifiĂ©. Â» Non pas pour demeurer ici mais pour ĂŞtre envoyĂ©.

 

Cette consécration qui t’aliène d’une certaine façon du genre humain, est pour que tu approfondisses encore plus l’humain, et qu’à partir de là, tu ailles vers le monde, apporter cette mission cultuelle et salvatrice. Tu dois recueillir, toujours recueillir, - chaque fois que tu célébreras la messe dans le signe du pain et du vin,- le fruit de la terre, le travail des hommes, les souffrances, les espérances, les douleurs, les aspirations de justice des peuples, les angoisses de ceux qui souffrent ou jouissent et tu devras leur dire que tout cela ne doit pas se perdre sur la Terre mais être élevé en culte à Dieu. Tout cela se convertira en corps et en sang du Seigneur grâce à ta parole qui va être de ta messe. Le sacrifice du Christ sur le calvaire donne un sens divin à toute la douleur et à toute l’espérance de l’humanité.

En plus de célébrer la messe, tu vas prier ton bréviaire. C’est l’essence de notre vie sacerdotale, la prière. Être comme le Christ, des nuits en prières, rencontrant dans la profondeur du Père, le pardon pour cette humanité si nécessiteuse, la grâce dont nous avons besoin dans nos limitations, élever par des actions de grâce de tant de gens saints, présents dans notre peuple et demandant pardon pour tant de gens mauvais qui existent également parmi nous. Cela sera ton travail de culte devant Dieu.

 

Mais la mission du prêtre n’est pas que cultuelle, comme l’immolation du Christ ne fut pas seulement un culte…

 

Il nous a sauvĂ©s de la matĂ©rialitĂ© des idolâtries de la Terre pour que nous soyons des hommes sauveurs de ces idolâtries, des adorateurs du Dieu unique. SauvĂ©s des injustices qui tourmentent les peuples et ne pas avoir peur, mĂŞme si le peuple ne le comprend pas, comme lorsque MoĂŻse fit sortir IsraĂ«l d’Égypte et que les HĂ©breux pestaient contre le pauvre MoĂŻse : Pourquoi ne nous as-tu pas laissĂ©s mourir lĂ ? Lorsqu’on ne comprend pas le sens libĂ©rateur du Salut, nous sommes la cible de ceux qui ne veulent pas, dans l’Histoire, marcher vers la terre promise, en se libĂ©rant des esclavages auxquels ils se sont habituĂ©s. LibĂ©rez-vous du pĂ©chĂ©!

 

Le prĂŞtre ne peut tolĂ©rer le pĂ©chĂ©. Peu importe oĂą il se trouve, il doit ĂŞtre dĂ©noncĂ© et dĂ©truit. Le prĂŞtre sait que souvent, pour cela, il court le risque d’être assassinĂ© par ceux qui tentent d’introniser le pĂ©chĂ©. Le prĂŞtre ne peut pas ĂŞtre un complice de l’intronisation du pĂ©chĂ©. C’est pourquoi son travail doit ĂŞtre une mission salvatrice, difficile et conflictuelle. Et dimanche dernier, le Christ nous disait dans l’Évangile (Lc 6,26 et 22-23): « Malheur, lorsque tous les hommes diront du bien de vous! C’est de cette manière, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. […] Heureux ĂŞtes-vous quand les hommes vous insulteront et proscriront votre nom Ă  cause du Fils de l’Homme. RĂ©jouissez-vous ce jour-lĂ  et tressaillez d’allĂ©gresse, car voici que votre rĂ©compense sera grande dans le ciel. Â»

 

C’est en cela que se reconnaĂ®t l’authenticitĂ© du vĂ©ritable prophète, du vĂ©ritable prĂŞtre, de la vĂ©ritable mission de l’Église : en ce qu’il prĂŞche avec l’autonomie de la Parole libre du Seigneur, la dĂ©nonciation de tous les pĂ©chĂ©s et de toutes les injustices. Sa mission doit ĂŞtre salvatrice et elle ne sauve pas si elle ne dĂ©nonce pas le pĂ©chĂ©. Ainsi comme il doit ĂŞtre disposĂ© Ă  voir dĂ©noncer ses propres pĂ©chĂ©s, le prophète doit aussi ĂŞtre disposĂ© Ă  recevoir les reproches de sa mauvaise conduite, de ses indignitĂ©s. Nous devons pour cela vivre l’effort d’être les principaux disciples de ce Christ qui nous demande une intransigeance, une radicalitĂ© dans l’Évangile. Une personne qui met la main Ă  la charrue, ne peut redevenir indigne du Règne de Dieu. « Laissez les morts enterrez leurs morts. Ceux qui ne m’aiment pas plus que leur propre famille, que les leurs, ne sont pas dignes de Moi. Â» Ce sont des paroles terribles qui paraissent inhumaines, et cependant, elles ne sont comprises que par celui qui, pour Lui, abandonne tout. Il gagnera le Règne des cieux. « Celui qui a peur de perdre sa vie et qui ne veut pas ĂŞtre mĂŞlĂ© aux conflits de l’Évangile, perdra sa vie. Â» Cette radicalitĂ© qui nous rend fidèles Ă  cette mission du Seigneur, vaut plus que la vie elle-mĂŞme.

 

Très cher Jaime, je me suis suffisamment approchĂ© de ton âme mais je ne connais pas toute la profondeur de ta richesse spirituelle et sacerdotale. Mais je suis certain que cette citation et cet hĂ©ritage terrible de la consĂ©cration sacerdotale et de sa mission, naissent en toi dans la fidĂ©litĂ©. Il existe un chemin très sĂ»r que le Christ a choisi. C’est celui-lĂ  que doivent Ă©galement choisir tous ceux qui veulent rendre de bons comptes Ă  la fin de leurs jours. C’est ce que la thĂ©ologie appelle la « kĂ©nose Â», c’est-Ă -dire s’anĂ©antir, s’humilier. Ce Christ qui Ă©tant infiniment riche et qui Ă©tait Dieu, se fit pauvre pour sauver les pauvres et pour sauver, Ă  partir des pauvres, toute l’humanitĂ©. Il n’y a pas d’autre chemin de Salut. Ce n’est pas de la dĂ©magogie, quand le Christ lui-mĂŞme dit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, Il m’a envoyĂ© pour Ă©vangĂ©liser les pauvres. Â» Ce n’est pas dans un sens d’exclusivisme, c’est dans le sens Ă©vangĂ©lique d’appel Ă  toutes les classes sociales pour que nous sentions le problème du pauvre, comme si c’était le nĂ´tre. Comme le Christ le sentit, Lui qui Ă©tant Dieu et mĂ©ritant mieux que quiconque les honneurs de la Terre, voulut se faire, en un sens, indigne de la foi des grands. Il naquit comme le plus pauvre parmi les pauvres pour ĂŞtre pauvre Lui-mĂŞme et condamnĂ© Ă  mort dans l’ignominie et la souffrance. C’est cela, la kĂ©nose qui nous parle : « C’est pourquoi Dieu Lui donna un nom au-dessus de tous autres et devant lequel se plient tous les genoux, dans le Ciel, sur la Terre et dans les profondeurs des abĂ®mes. Â» Notre vĂ©ritable gloire, notre vĂ©ritable prestige est pour moi, non dans le fait de paraĂ®tre bien, mais plutĂ´t que Dieu se complaise en nous; que le Christ voit comment nous nous efforçons de suivre de près sa lumière, son humilitĂ© et sa pauvretĂ©.

 

Et je t’augure, cher Jaime, que ton sacerdoce, précisément parce qu’il s’accrochera à cette croix, à cette pauvreté, à cette kénose du Seigneur, méritera le plus grand prestige. Il n’y a pas un prêtre plus aimé, plus efficace et plus utile pour l’humanité entière qu’un prêtre qui accomplit la mission pour laquelle il a été consacré, qui s’identifie à sa propre consécration, sans jamais trahir son identité, sans jamais changer sa finalité sacerdotale pour d’autres choses de la Terre, qui s’efforce d’être sel, levure, lumière, ferment. Il fait siens ces efforts les plus difficiles qui aujourd’hui se réalisent dans notre propre peuple pour se libérer. Mais le prêtre doit faire cela à partir de sa propre identité sacerdotale, avec l’intégralité valeureuse de l’Évangile qui réclame la justice du Règne de Dieu. 01/03/80, p.279-282, VIII.